Actes du deuxième colloque international de l'association Verre et Histoire, Nancy, 26-28 mars 2009

Brevets et innovations chez René Lalique

Véronique Brumm
Chargée de mission pour la création du musée Lalique
(France)

Né en 1860 et décédé en 1945, René Lalique a vécu deux vies d'artiste successives, s'élevant chaque fois parmi les protagonistes majeurs qui marquèrent de leur personnalité le temps de l'Art Nouveau puis celui de l'Art Déco, aux styles diamétralement opposés. Bijoutier avant-gardiste, en devenant verrier, il continue de se démarquer de ses prédécesseurs.

Industriel avisé, il dépose des brevets pour protéger les innovations qu'il met au point. Le premier est daté du 16 février 1909. Il traite d'un procédé de moulage du verre applicable à la fabrication de flacons, de carafes et de tous vases dont l'ouverture est plus étroite que le corps intérieur. D'autres suivront, concernant non seulement la production de flacons de parfum, mais aussi des procédés de décoration murale par incorporation de motifs en verre, de fabrication d'appareils d'éclairage, de fermeture de caves à liqueurs…

Patents and Innovations of René Lalique

Born in 1860, died in 1945, René Lalique lived two distinct artistic lives, being twice among the most notable creators from the Art Nouveau and Art Deco periods, two very contrasting styles. Avant-garde jeweller, whilst becoming a glassmaker he still innovates from his predecessors.

A wise entrepreneur, he patented all of his innovations. The first patent is dated February 16th 1909. It relates to a process of moulding glass in conjunction to the production of perfume bottles, decanters and all vases which have openings narrower than the interior body. Others will follow not only in the manufacturing of perfume bottles but also for interior decoration incorporating glass motifs, lighting devices and stops for liquor flasks.

René Lalique, qu'Émile Gallé désignait comme l'inventeur du bijou moderne et qui avait connu un triomphe sans égal à l'Exposition universelle de 1900, organise sa dernière exposition de bijoux en 1912, place Vendôme. Dès lors, il se consacre pleinement à sa nouvelle passion : le verre. L'évolution de sa carrière ne s'est pas faite du jour au lendemain, mais est le fruit d'un long processus, de multiples expérimentations.

Petit garçon aimant passionnément la campagne champenoise où il est né, le jeune René aime à rêver devant cette nature avec laquelle il sait communier. Il aime dessiner aussi. Et il dessine bien. Avec le décès de son père, le temps de la jeunesse insouciante prend fin. Il a seize ans. Il sera bijoutier. Apprenti chez l'orfèvre-bijoutier Louis Aucoc, il s'initie aux techniques de la joaillerie. Après un séjour de deux ans en Angleterre, il revient à Paris et travaille comme dessinateur de bijoux. Il crée pour Jacta, Cartier, Renn, Hamelin, Destapes… C'est justement Jules Destapes qui lui vend son atelier situé place Gaillon en 1885, infléchissant ainsi sa carrière.

Photo. René Lalique, pendentif Femme libellule, ailes ouvertes

Fig. 1. Pendentif Femme libellule, ailes ouvertes. Cliché © J.-L. Stadler.

René Lalique a vingt-cinq ans. Il « s'adonne exclusivement à la joaillerie, aux brillantes et blanches parures tout en diamants » (Vever, 1906, p. 710). Mais déjà, son esprit libre et indépendant le tiraille. Il introduit progressivement plus de liberté dans ses compositions. Petit à petit, un véritable style Lalique s'affirme. « Je travaillais sans relâche, explique-t-il, dessinant, modelant, faisant des études et des essais techniques en tout genre, sans interruption, avec la volonté d'arriver à un résultat nouveau et de créer quelque chose qu'on n'aurait pas encore vu » (ibid.). À la faune et à la flore, s'ajoute une autre source d'inspiration majeure : la femme. Allégorie, figure ailée, divinité aquatique, elle est omniprésente dans l'œuvre de René Lalique. Alliée à la nature, mi-femme, mi-animal, elle est souvent mystérieuse, parfois inquiétante, mais toujours dotée d'une troublante sensualité.

Au niveau des matériaux aussi, il innove. Bouleversant toutes les traditions, il réhabilite les modestes pierres et les matériaux jusque-là dédaignés : corindons et sardoines, agates et cornalines, jaspes et opales, mais également corne et ivoire. Dans l'œuvre de Lalique, les matériaux participent par leur pouvoir suggestif tout autant que la forme. Ce n'est pas la valeur monétaire des gemmes qui prime, mais l'adéquation des matériaux avec le sujet. La matière doit transcender l'esprit, ses bijoux devenant supports d'émerveillement et de rêve. Pour Pol Neveux, « son originalité réside en ce qu'il a toujours trouvé une architecture pour les bijoux qu'il créait […]. En cette époque où l'on n'offre au public que des œuvres fragmentaires, il a cru que ses bijoux devaient être des touts » (Neveux, 1900, p. 136).