Actes du deuxième colloque international de l'association Verre et Histoire, Nancy, 26-28 mars 2009

Le verre opalescent :
innovation de John La Farge et Louis Comfort Tiffany

Jean-François Luneau
Maître de conférence
Université Blaise Pascal, Clermont-Ferrand (France).

À la fin des années 1870, John La Farge et Louis Comfort Tiffany conduisent des expériences chez des fabricants de verre installés à Brooklyn. Ceux-ci, originaires de France, émigrés aux États-Unis entre 1850 et 1865, viennent tous de Lorraine : ils ont été formés dans les verreries du pays de Bitche ou à Baccarat, où ils ont acquis les techniques du cristal et de la gobeleterie. Spécialisés dans la fabrication d'articles de luxe ou de fantaisie en verre soufflé et pressé, ils mobilisent les savoir-faire acquis dans leur jeunesse, en utilisant également les procédés de coulage et de laminage. Cette innovation de procédés issue d'un transfert technologique induit une innovation de produit : un verre à vitrail coulé, parfois laminé, baptisé verre opalescent. Ce verre apparaît sur le marché français et européen lors de l'Exposition universelle de 1889.

L'étude de la réception de ce nouveau matériau montre que, à court terme, les peintres-verriers français ne l'acceptèrent pas facilement : il permettait la création de nouveau type de vitraux qui attribuaient au matériau l'essentiel des effets. À plus long terme, il accoutuma les peintres-verriers à se reposer sur les qualités formelles du verre, et les principales innovations de l'entre-deux-guerres – vitraux blancs de Barillet, dalles de verre de Gaudin, vitraux en pâte de verre de Décorchemont – sont issues de la même logique.

Enfin, ce matériau fut l'un des moteurs de la révolution sociale du métier de fabricant de vitraux, en précipitant la fin de ceux qui se proclamaient « peintres sur verre », au profit d'artistes plus ouverts à l'innovation qu'au respect de la tradition.

Opalescent glass: an innovation from John La Farge and Louis Comfort Tiffany.

Towards the end of the 1870's, John La Farge and Louis Comfort Tiffany carried out experiments in various glass factories from Brooklyn. The glassworkers, all originating from France having emigrated between 1850 and 1860, came from Lorraine where they had learnt their craft in tableware. Specialised in luxury trade or "fantaisie", in blown or pressed glass, they used the technical know-how learnt during their youth combined with cast and rolling techniques.

This innovation in process induces an innovation of product: a glass for stained-glass windows sometimes called rolled glass but mostly opalescent glass.

This new kind of glass is shown to the European market at the Paris universal exhibition of 1889.

∧  Haut de pageUne définition du verre opalescent

Dans le domaine du vitrail, il est un verre que les Français (et sans doute beaucoup d'Européens) appellent « américain », et que les Américains dénomment « verre opalescent ». C'est un type de verre apparu vers 1880 aux États-Unis, dont les particularités sont très caractéristiques. D'une part, il n'est pas transparent, mais seulement translucide. Ensuite, il a la plupart du temps un aspect opalescent, laiteux. Il peut aussi comporter plusieurs couleurs, et cette coloration est aléatoire. Il peut également être dichroïque, c'est-à-dire posséder une couleur par transparence et sa complémentaire par réflexion. Enfin, il présente des reliefs sur l'une des surfaces, soit réguliers, soit irréguliers.

Ce verre opalescent est le fruit d'une innovation de produit aussitôt suivie d'une innovation de procédé. L'innovation de produit est le fait de deux peintres décorateurs de New York, John La Farge et Louis Comfort Tiffany. Ces innovations ont parfois fait l'objet de brevets qu'il convient d'analyser.

∧  Haut de pageLes protagonistes

John La Farge (1835-1910), fils d'un émigré français, poursuivit d'abord des études classiques et s'orienta vers le droit, mais il prit aussi des cours de peinture. En 1856 et 1857, il voyagea en Europe, passa quelques semaines dans l'atelier de Thomas Couture et fut admis à copier au Louvre. Son parcours des grandes capitales européennes lui permit de découvrir les maîtres anciens1. De retour aux États-Unis, il s'installa à Newport où il fut l'élève de William Morris Hunt. Il commença alors une carrière de paysagiste et de peintre de genre. Lors d'un voyage à Londres en 1873, il rencontra Edward Burne-Jones et plusieurs des Préraphaélites. En 1874, il reçut sa première commande pour un vitrail destiné au Memorial Hall de l'université Harvard. L'exécution de cette verrière représentant le chevalier Bayard fut confiée à Donald McDonald, de l'atelier William J. McPherson de Boston. La Farge chercha à exprimer les ombres en remplaçant les effets de peinture par le placage des verres, ce qui augmenta le coût de l'œuvre : la commande lui fut retirée en raison de son prix2. Vingt ans après, La Farge se rappelait sa déception devant la pauvreté des verres proposés à ce moment-là sur le marché3. En 1876, il admira la qualité plastique des articles de toilette en verre opalin : l'harmonie de cette « porcelaine de Réaumur » ressortait d'autant lorsqu'elle était placée à côté d'un verre traditionnel coloré dans la masse. Il chercha alors des verriers capables de développer ce matériau en larges feuilles utilisables par les peintres-verriers. Il rencontra ainsi Francis Thill (1829-1890), verrier originaire du Luxembourg installé à Brooklyn, qui produisait tout type d'objets en verre (vases, verres de lampes à pétrole, siphons, etc.), et l'engagea à produire des feuilles de verre opalin, mais aussi des verres d'autres formes, telles que cabochons, œil, etc. Le premier vitrail où il inclut des verres nouveaux fut commandé à l'occasion du mariage du propriétaire avec Sarah Coleman Alden le 1er novembre 1877 et placé dans leur résidence d'été à Long Island. Sur une des pièces de verre opalescent insérées dans ce vitrail, La Farge a inscrit : « this opal made June 25, 1879 »4. Après la présentation de ce vitrail au public5, il déposa le 10 novembre 1879 une demande de brevet pour l'usage conjoint des verres traditionnels et opalescents dans le vitrail : le brevet fut accordé le 24 février 1880 (fig. 1)6. La Farge poursuivit ensuite ses recherches et demanda bientôt, le 23 janvier 1882, un brevet concernant l'usage d'armatures légères pour maintenir les pièces de verre. Il l'obtint le 3 avril 18837. La Farge affirma par ailleurs avoir montré la voie à Tiffany, qui vint observer chez lui les nouveaux verres obtenus8.

Dessin. La Farge, brevet.

Fig. 1. La Farge. Colored Glass Window, brevet n° 224.831, accordé le 24 février 1880.

Dessin. Tiffany, brevet.

Fig. 2. Tiffany. Glass Tile, Mosaic, &c, brevet n° 237.416, accordé le 8 février 1881.

Photo. Tiffany, Heidt, carreaux de revêtement, détail.

Fig. 3. Louis Comfort Tiffany et Louis Heidt ( ?), détail des carreaux de revêtement décorant une cheminée de la salle des Vétérans du 7e Régiment de New York, vers 1881.

Dessin. Tiffany, brevet.

Fig. 4. Tiffany. Colored Glass Window, brevet (pour un perfectionnement des verrières en verre coloré), n° 254.409, accordé le 28 février 1882.

Louis Comfort Tiffany (1848-1933), fils d'un joaillier new-yorkais, débuta une carrière de peintre de paysage et de genre. Il voyagea en 1872-1873 au Maghreb et en Égypte. Après avoir présenté ses toiles à l'Exposition universelle de Philadelphie en 1876 puis à celle de Paris en 1878, il se lança dans les arts décoratifs en fondant l'Associated Artists, une société chargée de commercialiser meubles, papiers peints et tissus. Vers 1880, il rendit visite à John La Farge, qui l'incita à se lancer dans le vitrail. Sa première verrière religieuse fut posée au printemps 18809. La carrière de décorateur de Tiffany est marquée par le dépôt de nombreux brevets. Le 25 octobre 1880, il déposa trois demandes qui lui furent accordées le 8 février 1881 : le premier brevet témoignait des expériences pour fabriquer des carreaux de verre à deux couches, dont l'une, perforée, laissait voir la seconde, opalescente ou iridescente (fig. 2 et 3), alors que les deux autres concernaient l'assemblage de différents types de verre dans un vitrail, et notamment la possibilité de laisser un espace vide de quelques centimètres entre deux couches de verre10. Le 16 mars 1881, Tiffany signa avec le verrier de Brooklyn Louis Heidt un accord de coopération, d'expérimentation et d'exclusivité prévu pour un an, et qui fut maintenu sans doute jusqu'en 188311. Le 26 juillet 1881, il sollicita un brevet pour un perfectionnement des verrières en verre coloré qui lui fut accordé le 28 février 1882 (fig. 4)12. Un autre brevet pour un carreau de verre perforé, demandé le 11 novembre 1881, lui fut octroyé le 21 mars 188213. Enfin, une requête déposée le 29 janvier 1884, concernant un procédé de décor des surfaces murales et des plafonds, fut acceptée le 27 mai 188414.

Cette « course aux brevets » entre les deux artistes new-yorkais les emmena très vite sur le terrain judiciaire. Dès l'été 1881, La Farge intenta un procès à Tiffany en revendiquant l'antériorité de l'utilisation du verre opalescent dans le vitrail, en complément des verres traditionnels. Un entrefilet du New York Times affirme le 30 octobre 1881 que le procès est « reporté à la satisfaction des deux parties », et que La Farge conserve son brevet15. Le conflit n'était sans doute pas complètement réglé en septembre 1882, lorsqu'une société d'avocats de New York questionna l'expert Thomas Gaffield, fabricant de verre retraité, sur les premiers utilisateurs du verre opalescent16. Dans une des trois lettres conservées, les avocats déclarèrent que leur but était de laisser « le chemin de l'art dans cette direction comme dans d'autres, libre et non obstrué pour personne ». L'issue de ce procès n'est pas connue avec précision, mais les brevets ne furent retirés ni à La Farge ni à Tiffany. Il est certain cependant que le chemin de l'art s'est trouvé rapidement libre, assez pour que de nombreux ateliers de vitrail des États-Unis, puis bientôt d'Europe, se mettent à utiliser le verre opalescent et la technique des différentes couches de verre.

La compétition se poursuivit par articles de presse interposés au cours des années 1880, rebondit après 1889 lorsque La Farge obtint la Légion d'honneur, puis après l'Exposition universelle de Chicago en 1893, lorsque Tiffany et La Farge écrivirent eux-mêmes des articles justifiant leur pratique17. En 1892, Tiffany avait ouvert sa propre verrerie à Corona : il en confia la direction à Arthur Nash, verrier anglais venu de chez Edward Webb & Sons, de l'entreprise Dennis Glass Works à Stourbridge (Grande-Bretagne)18, et débaucha Jimmy Stewart19, employé de Louis Heidt, ainsi que Thomas Manderson, souffleur de verre20. Tiffany déposa bientôt la marque de fabrique Favrile Glass, issue des recherches sur l'iridescence poursuivies à Corona21.

∧  Haut de pageL'innovation de procédé

Les différents brevets déposés par La Farge et Tiffany concernent quelquefois le verre lui-même (les carreaux de revêtement), mais plus souvent son utilisation dans le vitrail. Il s'agit toujours d'innovation de produit, mais pas d'innovation de procédé, celle-ci demeurant non brevetée. D'ailleurs, la lecture des brevets nous montre que la question des procédés intéresse assez peu La Farge ou Tiffany, même s'ils donnent parfois quelques détails techniques.

La Farge décrit ainsi l'opalescence : « Cet effet est usuellement produit avec du peroxyde d'étain ou de l'acide stannique, de l'acide d'antimoine, du chlorure d'argent, du phosphate de chaux, ou de la cendre d'os. Ces différents matériaux, mélangés avec le sable habituel et la potasse ou avec le verre pilé, donnent un précipité blanc, par conséquent un verre d'un blanc laiteux ou jaunâtre ». Malgré ces détails techniques particulièrement précis, La Farge ajoute à la fin de sa présentation : « Je désire qu'il soit entendu que je ne prétends pas réclamer pour aucun perfectionnement dans l'art de la fabrication du verre, pas plus du verre translucide, que du verre opale, que du verre coloré »22. De même, Tiffany présente l'iridescence comme « le lustre métallique (...) produit par la formation d'un film de métal, ou de ses oxydes, ou d'un composé de métal, à la surface ou à l'intérieur du verre, soit par l'exposition du verre à des vapeurs ou des gaz, soit par application directe ». Mais il conclut très vite que l'effet d'iridescence de la surface du verre « peut aussi être produit par la corrosion de la surface du verre, un tel procédé étant bien connu des fabricants de verre »23.

Si les brevets renseignent assez peu sur l'innovation de procédé, il faut donc chercher ailleurs les renseignements sur la fabrication de ces nouveaux verres à vitrail. Une enquête sur les verriers qui collaborèrent avec La Farge et Tiffany a permis d'en savoir un peu plus sur leurs personnalités et leurs formations. Ils étaient cristalliers, pour la plupart d'origine française, formés entre 1840 et 1860 à Baccarat ou à Saint-Louis24. Plusieurs d'entre eux sont relativement bien documentés : Louis Heidt, né à Gœtzenbruck en 1835, mort à New York en 1901, Adolphe Bournique, né à Baccarat en 1863, mort à Kokomo en 1913, les frères Jean (1833-1888 ?) et Nicholas Dannenhofer (1839 ?-1896 ?), nés tous les deux à Rahling près de Saint-Louis et morts à New York, ainsi que les deux fils de Jean, John Dannenhofer Jr. (1871-1910) et Nicholas Dannenhofer Jr. (1871-1916), tous deux nés et morts à New York.

Les archives de Louis Heidt et d'Adolphe Bournique sont en partie conservées et permettent de comprendre l'élaboration de ce nouveau produit. Les feuilles de verre opalescent qu'ils produisirent pour le vitrail résultaient de l'adaptation au verre plat de techniques auparavant mises en œuvre pour d'autres types de productions. Ainsi, dans les livres où Louis Heidt consignait ses formules de fabrication de verre, il apparaît clairement que le « verre opal [sic] pour plaque » est du cristal : un minium de plomb entre en effet dans sa composition. Par ailleurs, les recettes montrent aussi les éléments utilisés pour opaliser le verre : le spath-fluor, le phosphate de chaux, ou encore l'arsenic25. On rencontre des formules analogues dans les livres rédigés par Adolphe Bournique. Certaines recettes sont même localisées et datées : elles ont été testées à Brooklyn en 1881. Il s'agit de verre « opale transparente pour bull-eyes » ou encore de verre « opale transparente pour plaque ». Là encore, on note la présence d'un minium de plomb, qui montre qu'il s'agit bien de cristal. Les produits pour opaliser sont également présents : spath-fluor, arsenic, et phosphate de chaux sous la forme de cendre d'os26.

La lecture des formules montre donc que la préparation du verre opalescent pour vitrail dérive de la gobeleterie de luxe, et notamment de la fabrication du cristal et de l'opaline. Ce verre est par ailleurs fabriqué en feuilles, comme l'indiquent quelques rares brevets, notamment celui déposé par Louis Heidt en 1884 et délivré le 17 mars 1885, destiné à protéger le dessin d'une feuille de verre comportant des reliefs sur ses deux faces27. Une photographie prise au début du XXe siècle représente l'intérieur d'une verrerie appartenant à Adolphe Bournique28. Le verrier pose au milieu des ouvriers, devant le four circulaire surmonté d'une énorme cheminée bien visible à l'arrière-plan. Au premier plan, trois machines sont disposées devant les ouvriers, et cette place éminente souligne clairement l'importance du rôle qu'elles jouent dans le processus de production du verre opalescent : il s'agit de tables de coulage. Ces tables ne sont plus en usage aujourd'hui, mais quelques verreries en conservent des exemplaires. Elles comportent un rouleau de laminoir destiné à aplanir le verre en fusion. Ce processus de fabrication est issu de la technique de la glace coulée, mise au point à Saint-Gobain à la fin du XVIIe siècle, et reproduite par l'Encyclopédie de Diderot et d'Alembert en 176529. Il s'agissait de verser le verre en fusion sur une table de métal. Cette table était bordée de réglettes qui permettaient à la fois d'empêcher le verre de s'écouler et de définir l'épaisseur de la feuille. Un rouleau de cuivre venait ensuite lisser la glace. La planche de l'Encyclopédie montre aussi que la coulée était réalisée devant la « carcaisse » (le four de recuit), où la feuille de verre était enfournée sitôt sa mise en forme. Ces procédés destinés à la production de la glace ont été adaptés au verre à vitre au XIXe siècle ; ils ont fait l'objet d'un brevet déposé par le verrier anglais James Hartley en 184730.

C'est donc cette technique de coulage et de laminage qui est retenue par les verriers de Brooklyn pour produire le verre opalescent dans les années 1880. Un reportage sur la verrerie Dannenhoffer paru en 1905 dans le New York Times présente en plusieurs dessins la chaîne opératoire31. Un cueilleur prend d'abord du verre en fusion dans le four à l'aide d'une énorme louche. Il verse ensuite le verre sur la table, où le rouleau du laminoir est aussitôt passé. La plaque de verre est enfin enfournée dans un four de recuit. Ces images diffèrent sans doute assez peu de ce que l'on peut observer aujourd'hui à Kokomo (Indiana), dans l'usine de la Kokomo Opalescent Glass, une entreprise fondée par Adolphe Bournique au début du XXe siècle. Un four circulaire contient plusieurs creusets auxquels on accède par des ouvreaux. Chaque creuset contient une couleur de verre différente. Les cueilleurs, à l'aide de louches de grande contenance, prélèvent chacun une masse de verre en fusion dans des creusets différents. Le premier ouvrier dépose la couleur dominante sur la table. Le second cueilleur verse à son tour le contenu de sa louche, pour ajouter une deuxième couleur à la première. Un troisième ouvrier prend alors le relais : à l'aide d'une fourche à deux dents, il mélange les deux pâtes de verre d'une façon aléatoire. Son mélange terminé, il pousse la masse de verre à l'entrée du laminoir, et la tasse contre les rouleaux. Le verre passe dans le laminoir et entre directement dans le four de recuit. Si le rouleau est sculpté, il imprime des reliefs dont les motifs reviennent avec régularité sur la surface de la plaque de verre.

∧  Haut de pageUne révolution dans le vitrail

Photo. Tiffany, verrière, détail.

Fig. 5. Louis Comfort Tiffany, détail d'une verrière d'une église de Chicago, vers 1890.

Une demande neuve et originale des artistes pour un produit inédit a obligé les verriers à utiliser leur savoir-faire pour mettre au point un nouveau procédé de fabrication. Celui-ci, héritier des techniques de la gobeleterie de luxe et de la fabrication de la glace, n'a rien d'une véritable rupture : il s'agit juste d'une adaptation des verriers à l'évolution de la demande. Si l'innovation de procédé peut paraître mineure au point de ne pas avoir fait l'objet de dépôt de brevet, l'innovation de produit est en revanche à l'origine d'une riche postérité. Ces nouveaux verres furent présentés au public parisien lors de l'Exposition universelle de 1889. L'usage des verres à reliefs sur lesquels il est impossible de peindre a poussé les peintres-verriers à utiliser le matériau en fonction de ses qualités formelles (fig. 5). Le métier s'en est trouvé transformé, et ces verres nouveaux, opalescents et à reliefs, sont devenus un des enjeux majeurs de la profession à la fin du XIXe siècle : avec leur apparition, l'ancien métier de « peintre sur verre » s'est effacé pour laisser place à de nouvelles pratiques, plus en rapport avec l'évolution de la technique et de l'architecture.

Jean-François Luneau

  • 1.  ↑  Yarnall, 1999.
  • 2.  ↑  Yarnall, Sloan, 1992a, et Yarnall, Sloan, 1992b.
  • 3.  ↑  New Haven (Connecticut), Yale University Library, Manuscript Group Number 24, La Farge Family Papers, Series IV, Box 7, n° 4, To M. Getz, for M. Bing of Paris, p. 4, et La Farge, 1893, p. 13.
  • 4.  ↑  Yarnall, Sloan, 1992b. p. 7-8.
  • 5.  ↑  « John La Farge's Stained Glass », New York Herald, 3 novembre 1879, p. 8.
  • 6.  ↑  N° 224.831, Colored Glass Window ; cf. Official Gazette of the Commission of Patents, t. 17, 1880, p. 416. Le placage des verres décrit dans ce brevet rappelle les superpositions employées par Maréchal, que La Farge a pu observer en France en 1856.
  • 7.  ↑  N° 274.948, Manufacture of colored-glass windows ; Official…, op. cit., t. 23, 1883, p. 1239.
  • 8.  ↑  Document cité note 3, p. 7.
  • 9.  ↑  « St Mark's : Consecration of The New Episcopal Edifice at Islip », L.I., Brooklyn Eagle, 23 juin 1880, p. 2.
  • 10.  ↑  N° 237.416, Glass tile, mosaic, &c, n° 237.417 et n° 237.418, Colored Glass Window ; cf. Official Gazette of the Commission of Patents, t. 19, 1881, p. 307.
  • 11.  ↑  Luneau, 2008.
  • 12.  ↑  N° 254.409, Colored Glass Window ; cf. Official…, op. cit., t. 21, 1882, p. 622.
  • 13.  ↑  N° 255.210, Illuminated tile ; cf. Official…, op. cit., t. 21, 1882, p. 819.
  • 14.  ↑  N° 299.181, Panels for walls, ceiling, &c. ; cf. Official…, op. cit., t. 27, 1884, p. 841.
  • 15.  ↑  « Art Note », New York Times, 30 octobre 1881, p. 14.
  • 16.  ↑  Sloan, 1997.
  • 17.  ↑  Tiffany, 1893, et La Farge, 1893.
  • 18.  ↑  Eidelberg, McClelland, 2001, p. XIII–XIV.
  • 19.  ↑  Koch, 1971, p. 62-73.
  • 20.  ↑  Koch, 1982, p. 127-128.
  • 21.  ↑  Raguin, 2000.
  • 22.  ↑  Brevet n° 224.831, op. cit. note 6.
  • 23.  ↑  Brevet n° 237.418, op. cit. note 10.
  • 24.  ↑  Luneau, 2007, Luneau, 2008, Luneau, 2010.
  • 25.  ↑  The Corning Museum of Glass, Rakow Research Library, Louis Heidt papers, box 2, book 2, p. 7, book 6, p. 1, et book 10, p. 4.
  • 26.  ↑  The Corning Museum of Glass, Rakow Research Library, Adolphe Bournique papers, box 1 folder 2, p. 104.
  • 27.  ↑  Dessin breveté n° 1 5.972 pour « Glass Sheet or Pane ».
  • 28.  ↑  Reproduite dans Humphrey, 2006, p. 2-3.
  • 29.  ↑  Recueil de planches sur les sciences, les arts libéraux et les arts méchaniques, avec leur explication, Troisième livraison [t. 4], Paris, Briasson, David et Le Breton, 1765, pl. XXII à pl. XXV.
  • 30.  ↑  Hollister Paul, « The Glazing of the Crystal Palace », Journal of Glass Studies, vol. 16, 1974, p. 95-110, et Carré-Coursaris Anne-Laure, Construire en verre. De nouveaux matériaux pour l'architecture, Thèse de doctorat sous la direction de François Caron, Université Paris IV-Sorbonne, 1998, vol. 1, p. 42-45.
  • 31.  ↑  Griffith William, « From Sand Bank to Stained-Glass Window », New York Times, 21 mai 1905, p. X8.