Actes du deuxième colloque international de l'association Verre et Histoire, Nancy, 26-28 mars 2009

Une région forestière à la pointe de l'innovation :
le Valois sous les rois de France (XIIIe-XVIe siècle)

Michel Philippe
Chercheur associé
UMR 5060, CNRS-Laboratoire de Métallurgies et Cultures (France).

Situées à moins d'une centaine de kilomètres au nord-est de Paris, les forêts valoisiennes de Rest, de Compiègne et de Cuise, connaissent à partir du début du XIIIe siècle une dynamique économique sans égale par ailleurs. Le roi Philippe Auguste y a incontestablement sa part dans la mesure où il cherche à imposer sa marque dans un certain nombre d'entreprises forestières et où il crée, dès 1214, une nouvelle organisation de ses forêts. Dès lors, celles-ci vont connaître un rayonnement pluri-industriel important. Celui-ci se matérialise en particulier, au niveau des activités verrières, dans la participation au développement des verrières de plusieurs établissements ecclésiastiques (à Soissons, etc.) et par l'émergence de plusieurs familles verrières qui imposeront leur technique de fabrication dans cette région puis dans la Normandie voisine (Caquerai, Brossard, etc.).

An innovative forestry region: the Valois under the kings of France (13th - 16th centuries).

Less than a hundred km north-east of Paris, the Valois forests of Rest, Compiegne and Cuise experienced since the beginning of the 13th century an unrivalled economic dynamism. King Philippe-Auguste has undoubtedly his part of influence in this as he seeks to leave his mark in a number of forestry enterprises and imposes as early as 1284 a new organization for his forests. From then on these will experience important economic development in multiple industrial activities. This is reflected in particular, in glass making with the use of new stained glass in several church buildings (Soissons, etc.) and in the emergence of several successful glassmaking families who will impose their craft in this region and later in neighbouring Normandy (Caquerai, Brossard, etc).


Carte. Le Valois.

Fig. 1. Carte du Valois. Localisation contemporaine du pays de Valois. © M; Philippe d'après une carte de la Communauté de Commune du pays de Valois.

Sans doute faut-il commencer par le Valois (fig. 1) pour évoquer le passé de la verrerie parisienne, mais également de la Normandie, de la forêt d'Othe ou du Berry. Ces régions ont en effet très tôt accueilli des verriers formés en Valois dans les forêts de Cuise, de Compiègne ou de Rest, entre autres, véritables foyers verriers dès le XIIe siècle, voire auparavant.

Rappelons-le ici, le verrier nommé Philippe de Caqueray, sieur de Saint-Imes, à qui on a longtemps attribué l'invention du verre plat « à la normande » vers 1330, serait originaire du Valois… Selon nous, ce genre d'assimilation entérine d'abord l'importance de cette région au niveau de la production verrière pour cette époque ; il y associe également une famille particulière, effectivement réputée pour ce type de fabrication, à savoir les Caquerai ; enfin, il définit la technique utilisée par ce verrier, à savoir celle du verre en disque qui connaîtra son plein développement en Normandie à partir du XVe siècle. Qu'il s'agisse d'une légitimation a posteriori ne contrarie pas ce raisonnement. Il reste à montrer dans les vitraux de cette époque les effets de ce mode de fabrication…

Je souhaite ici tenter d'éclaircir le rôle de ce roi de France, et de ses successeurs, dans la production et dans la réalisation des verrières et vitraux régionaux. Son action principale s'est exprimée à partir de la forêt de Rest, au détriment relatif des autres massifs tout aussi prometteurs d'un point de vue économique (forêts de Compiègne, de Cuise, voire de Thelle plus à l'ouest). Pendant qu'il cherche à s'imposer militairement aux troupes anglaises installées ou présentes dans la vallée de la Loire et, globalement, sur les flancs ouest et sud-ouest de son étroit royaume, il installe son pouvoir de monarque constructeur au nord et au nord-est de la Seine : le Valois et ses forêts seront son terrain d'expérience et une forme d'investissement à long terme.

La forêt de Retz est une forêt domaniale de l'Aisne, en forme de croissant, dont Villers-Cotterêts serait le centre. Elle est située à 80 km au nord-est de Paris. C'est l'un des plus grands massifs forestiers français d'environ 13 023 hectares. Elle appartient à l'ensemble des grandes hêtraies de Picardie (chapelet de forêts domaniales entrecoupées de forêts privées). Cette forêt « la plus noble et la mieux plantée du Royaume » est bien décrite dans les archives. Contrairement à d'autres espaces forestiers français, où le couvert forestier n'est en général pas statique, ses contours n'ont guère évolué au cours des siècles. Elle est issue de l'immense forêt des Sylvanectes, qui s'étendait au temps de Jules César de la région de Louvres (actuel Val-d'Oise) jusqu'au milieu du département de l'Aisne. Ce massif s'est morcelé au cours des siècles : forêt de Retz à l'est, forêt de Compiègne, au nord, forêt de Cuise à l'ouest… jusqu'à la forêt de Thelle à l'extrême ouest. Aujourd'hui, le croissant de la forêt de Rest résulte de nombreux défrichements médiévaux, entre Tardenois et Valois. Il est comme miné par une série de vers qui l'ont rongé de l'intérieur et n'ont laissé que la partie superficielle, comme un leurre : résultat de ponctions moult fois répétées dans ce massif forestier par les entrepreneurs, les communautés environnantes, les marchands de bois… et les fraudeurs.

1. Le Valois sous Philippe Auguste :
la faveur aux moines propriétaires, le bénéfice aux industriels

∧  Haut de pageUne politique favorable aux industries forestières

Retz ne devient une unité distincte qu'au XIIe siècle. Elle appartient alors aux comtes de Valois. C'est une immense forêt qui s'étend de Retheuil, Chaudun et Buzancy jusqu'à la Marne1. Durant les siècles suivants (XIIe, XIIIe et XIVe), elle connaît d'importants défrichements dus à la forte croissance de la population. En 1214, la forêt est annexée au domaine de Philippe Auguste, roi de France. Celui-ci dictera la première ordonnance royale concernant les attributions de gardes de domaine forestier. L'administration de la forêt est à l'époque sous la responsabilité du gouverneur des châteaux de Villers-Cotterêts et de Vivières. Des agents forestiers, appelés sergents du roi, gèrent la forêt en taillis sous futaie et futaie, et surveillent les droits d'usage, les coupes, signalant dans le premier cas une possible carbonisation du bois.

L'espace d'intervention du roi Philippe Auguste aux XIIe et XIIIe siècles se situe à deux niveaux : d'une part les faveurs juridiques et économiques accordées à différentes communautés ; d'autre part celles concédées à certains bâtiments religieux ou laïcs, dans leur construction, leur restauration ou leur entretien2… Nous pouvons pour le premier cas envisager la forêt de Retz comme un chantier royal privilégié et, éventuellement, un lieu d'expérimentation. Les éléments dont nous disposons sont les enquêtes effectuées sous son règne (vers 1214-1215), dressant les droits dont disposent un certain nombre de communautés religieuses et urbaines dans la forêt de Retz.

Les premiers bénéficiaires de la manne royale sont les moines de Longpont, abbaye cistercienne fondée en 1131 dans la forêt de Retz, développée par le comte Raoul de Vermandois en 1143, et consacrée en 1228 en présence de Louis IX3. Cette manne s'adresse aussi aux chanoines de Valsery, abbaye fondée en 1124 (commune de Cœuvres-et-Valsery, proche de Soissons) par des moines prémontrés qui ont contribué à défricher la forêt de Retz, ainsi qu'au prieur de la Ferté-Milon (prieuré cure de Saint-Vaast), et enfin à diverses communautés forestières voisines de la forêt :

« Decanus sancti thome et alii supranominati jurati dixerunt quod monachi de longuo ponte habuerunt usuarium suum de mortuo bosco per totam forestam de rest consuetudinarie ; et pro mortuo bosco quod habebant per totam forestam consuetudinarie, concessit eis philippus comes flandrie in excambium branchias mortui bosci et residuum per totam forestam extra saltum et deffensa ad VIII asinos et duas quadrigas utramlibet duorum equorum ad corpus abbatie, ita quod istud excambium duraret quamdiu ipsi comiti placeret.
Item fagotarii longi pontis capiunt illud quod remanet de branchiis mortui bosci et residuum post onera quadrigarum et asinorum, sec nichil possunt sternere et fagotos quos exinde faciunt ducunt ad abbatiam sicut possunt ad furnos calfandos et alia abbatie necessaria facienda.
Item grangie sue videlicet : mont reimbuef, vallis beron, praella, lagorge, labone et grangia de vivario habent usualiter in eadem foresta branchias et mortuum boscum ad suum ardere extra saltum et deffensa. (également panage de chevaux, vaches et porcs)  ».

La manne royale s'adresse également :

– aux chanoines de Valsery4 :

enquête sur les droits d'usage dans la forêt de retz des chanoines de valsery ; mort bois etc. 6 anes :
« quadriga ad duos equos ; Item in bosco de aucoisel cujus fundus terre suus est infra metas capiunt illi de danleu mortuum boscum et residuum ad faciendum quicquid volunt ad usus suos et possunt exinde facere carbones et ducere ad domos suas ad voluntatem suam sine dare et vendere, et possunt habere servientem suum in illo bosco qui ipsum custodiat sed non potest ibi aliquem nec aliquid capere nec forisfactum de aliquo levare quia forisfacta sunt domini regis […] ».
45, mai 1215, enquête sur le droit revendiqué par Henri de Mareuil de vendre son bois de bosc renard (en forêt de Retz) sans autorisation

– au prieur de la Ferté-Milon :

73, mai 1215, enquête sur les droits d'usage en forêt de Retz5 :
« prior sancti wlgisii de firmitate milonis habebat asinum ad mortuum boscum, branchias ad ardendum et residua ultra urcus ad ardendum ; sed illo bosco vendito per licentiam comitisse datam ei, post decennium ivit in resto usuarium furnorum, domorum et molendinorum ; habet ille prior per redditum sicut alii de firmitate ad mortuum boscum et residua […]
Locus restauratus per totam forestam resti capit boscum mortuum et Vallis Serena capit per totam forestam de resto extra saltum et defensus cotidie ad sex asinos mortuum boscum, branchias et residua quantum opus est et quociens volunt in die et unam quadrigam ad fagotos de residuo asinorum et post primam turnciam residuus […] Carbones fecerunt ibi a quadraginta annis et amplius ; sed comitissa prohibuit ante triennium et postmodum concessit.
Domus de vivariis et granchie de spina de essarto per boscum eorum de vivariis habent mortuum boscum, branchias et Granchia de danlon que est granchia vallis serene in propriis boscis de danlon habent mortuum boscum etc. Per villarum monachorum […] ad molendinum de baudrimont […] Capella de plesseio que est de villari habet in bosco circa plesseium mortuum boscum et residua ad ardendum et pastum vaccis et equis. Fabri de vivariis et de puteolis et de cortiaco et de villari et de ivortio in usuariis suis possunt facere carbonum ad fabricandum. Similiter faber de faramont et dominus de oisniaco ad usuarium suum et faber de choi similiter sicut alii fabri ».

– à certains particuliers :

« […] guillelmus de sillic habet in bosco suo dominico de sillis vivum et mortuum boscum ad suum ardere et herbergiare […] et potest carbonem de mortuo bosco et residuo facere si velit... domini de ivorcio habent in bosco suo de ivorcio vivum et mortuum boscum ad ardendum et herbergiandum et branchias ad furnum ejusdem ville et possunt dare hospitibus suis de ivorcio de vivo bosco ad herbergiandum et possunt arrentare ad mortuum boscum et facere carbonem quandocumque voluerunt et pasturas vaccis et porcis suis […] »6.

– puis aux communautés forestières :

suite de l'enquête sur la forêt de rest moulin de Pocunde Valle 7 :
« […] Illi de roissiaco et de vaumesia habent usuarium ad mortuum boscum et residua in argenchero in bosco dominorum de roissiaco et pastum vaccis et equis suis usque ad boscum de ivorcio et capiunt brueriam per totam usque ad chaavres et campos de vouciennes et tilliet […] Illi de de nova habent in foresta mortuum boscum et residua usque ad brueriam de pisselon (Pisseleu) et usque ad marches de lauenchiere et saltus ».

Ces forêts sont de véritables chantiers parcourus par des bêtes et des hommes : bûcherons et fagotiers, charbonniers et divers autres ouvriers de la sidérurgie (« faber »), du verre (cueilleurs de bruyère)… Parmi les ateliers présents figurent des fours et des moulins, sans davantage de précision. L'expression de « carbonum ad fabricandum » associe la combustion du bois à une fabrication quelconque, sinon à une réduction de métal (ce qui paraît logique dans le contexte), voire de verre.

L'effort économique consenti par le roi Philippe Auguste aura permis l'essor d'activités métallurgiques, verrières, de moulins de diverses sortes, en plus de l'apport indispensable de la consommation forestière : fourniture de bois de construction, de bois de chauffage, de charbon de bois, de cendres, etc. Ces privilèges seront reconduits par ses successeurs. Les besoins des populations vont accroître le rayonnement économique de cette région dans les siècles suivants. Il demeure le berceau familial de plusieurs familles d'entrepreneurs qui essaimeront principalement vers la Normandie, autour de Rouen, et vers toutes les communautés urbaines mises en valeur par le commerce avec l'Angleterre.

∧  Haut de pageLes effets de cette politique sur la construction monastique et les églises

Nous voulons donner ici quelques éléments de réflexion concernant les avantages donnés par la politique royale à différents établissements ecclésiastiques. Quels sont les résultats de cette politique royale ? À ce niveau de notre recherche, deux éléments peuvent être notés : la fréquence et la qualité reconnue pour les vitraux des établissements concernés.

Photo. Vitrail, rose, Cathédrale Saint-Gervais-Saint-Protais, Soissons.

Fig. 2. Cathédrale Saint-Gervais-Saint-Protais, Soissons. Verrière du croisillon nord, rosace rayonnante, début du XIVe siècle. Cliché Mattana.

À Soissons, Enguerrand de Coucy, qui avait été trésorier de cette cathédrale avant d'être évêque de Laon, en 1098, acheta de son argent le terrain vide situé entre la Crise et l'ancienne église ruinée pour y bâtir le portail de la nouvelle et y faire le cimetière des chanoines ; car on enterrait alors à la porte plutôt que dans l'intérieur des églises. Il assigna certaines sommes pour l'acquisition des verrières peintes qui étaient à cette époque un ornement nouveau et fort coûteux. Au milieu du XIIe siècle, l'évêque de Soissons, Ancoul de Pierrefonds, qui avait été prévôt de la cathédrale, lui légua en particulier tout le bois de charpente et de taille nécessaire à la couverture du chœur et à la fabrication des stalles qui fut coupé dans la forêt de Retz. Ceci avec la permission d'Aliénor, comtesse de Vermandois, fille du comte Raoul Ier, principal bienfaiteur de l'abbaye de Longpont. Les autres vitraux, remarquables par la beauté de leur coloris, furent offerts au milieu du XIIe siècle à l'église par la comtesse Aliénor ainsi que par « le chanoine Cugnière qui, partant pour la Palestine, laissa de quoi garnir deux fenêtres du côté droit du chœur, qu'on appelait les O dès ce temps-là. » (fig. 2).

Philippe Auguste ajouta la grande verrière du chevet à des dons magnifiques en parements d'autel et en privilèges capitulaires. Quant aux chapelles, dont la plupart étaient construites et vitrées, elles eurent pour fondateurs les doyens, prévôts et chanoines de la cathédrale, à l'exception de celles de Saint-Pierre, attribuées à l'évêque Gosselin, et de Saint-Martin, que l'évêque Nivelon fit élever sur l'emplacement même d'une partie de son logis8.

Photo. Verrières, cathédrale Saint-Pierre de Beauvais.

Fig. 3. Cathédrale Saint-Pierre de Beauvais. Verrières du chœur. Tous droits réservés.

Photo. Verrières, cathédrale Notre-Dame de Senlis.

Fig. 4. Cathédrale Notre-Dame de Senlis. Verrières. Tous droits réservés.

Photo. Vitrail, cathédrale Notre-Dame de Laon.

Fig. 5. Cathédrale Notre-Dame de Laon. Vitrail du chœur, baie de gauche (vers 1215) : Saint Étienne comparaît devant le sanhédrin.
Cliché Vassil via Wikimedia Commons.

Plusieurs églises locales datent du XIIe-XIIIe siècle. Quelle est la part du « plus » accordé par la faveur royale ? La cathédrale Saint-Pierre de Beauvais est reconstruite en 1225, époque des premiers vitraux dans cette église (fig. 3). La cathédrale Notre-Dame de Senlis est érigée vers 1150-1155 et terminée en 1191 (fig. 4) ; celle de Noyon en 1140. La cathédrale de Laon, bâtie vers 1155-1160, bénéficie, lors d'une troisième campagne de construction vers 1180, de la pose des vitraux de la rose nord (dite des arts libéraux) (fig. 5). De 1185 à 1200, une quatrième campagne de construction permet l'achèvement de la nef et de la façade occidentale. Vers 1200 la rosace occidentale du jugement dernier est achevée.

Photo. Abbaye du Parc-aux-Dames, Auger-Saint-Vincent.

Fig. 6. Abbaye du Parc-aux-Dames, Auger-Saint-Vincent. Baies des verrières de l'ancienne abbaye royale. Tous droits réservés.

Photo. Saint-Thomas de Cantorbéry, Crépy-en-Valois.

Fig. 7. Collégiale Saint-Thomas de Cantorbéry, Crépy-en-Valois. Vue de la tour en façade.
© Mairie de Crépy.

L'abbaye du Parc-aux-Dames à Auger-Saint-Vincent (fig. 6) fut confirmée par Philippe Auguste. L'église fut achevée en 1205 et consacrée en 1207. Louis IX confirmera les privilèges de l'abbaye et lui accordera en juillet 1235 de prendre chaque semaine trois voitures de bois attelées de trois chevaux dans la forêt de Retz.

La collégiale Saint-Thomas de Cantorbéry à Crépy-en-Valois (fig. 7) a été construite au XIIe siècle (1182) par Philippe d'Alsace. En prenant possession du Valois, Philippe Auguste confirme les privilèges de la commune de Crépy par une charte de commune (cf. Cartulaire de Philippe Auguste). Il fera également le bornage et les droits de chacun en forêt de Retz9. Dans la vallée de l'Automne : l'abbaye royale Notre-Dame de Lieu-Restauré à Bonneuil en Valois est fondée en 1131 et confirmée en 1138 ; l'abbaye Notre-Dame à Morienval est une abbatiale datant du XIe siècle ; le château de Vez est édifié par Raoul d'Estrées vers 1214. À Oigny-en-Valois l'église Saint-Martin a été construite à la fin du XIIe siècle ; il en est de même pour Coulombs-en-Valois, etc.

∧  Haut de page2. Le Valois, une pépinière familiale protoindustrielle (XIVe-XVIe s.)

En 1346, Philippe VI de Valois crée le premier code forestier par l'ordonnance de Brunoy. Ce texte donne naissance à la première administration spéciale des forêts avec la naissance du corps des Maîtres des Eaux et Forêts. Il installe à Retz le premier maître du royaume.

Près de Compiègne, des prospections de surface ont permis à madame Sautai-Dossin d'envisager l'existence d'installations datant des Romains. Présente au XIIe siècle dans les faubourgs actuels de Compiègne (Venette), l'implantation nous est davantage connue aux XIVe et XVe siècles dans le canton de Crépy-en-Valois (Four d'en Haut, Saint-Sauveur, au sud du massif, La Folie près de Pierrefonds). Ces établissements, situés au pourtour de la forêt, exploitent des carrières de sable blanc. Leurs verriers s'approvisionnent en potasse de fougères10, mais souffrent de l'affaiblissement de la ressource forestière, très réglementée par le roi. Comme la plupart des forêts peu éloignées de Paris, en Normandie, Champagne et Bourgogne, le marché devient très difficile dans la deuxième moitié du XVe siècle, car il est accaparé par la façon des bois de construction, de chauffage, de tonneaux, ainsi que des cendres (lessivage, chauffage) pour la consommation parisienne11.

Le rôle de la famille de Caquerai a longtemps été présenté comme majeur dans la fabrication du verre plat (Philippe de Caquerai en 1330). Cette famille est constamment mentionnée dans ces établissements. Elle dispose en 1444 de l'hôtel de Banru, tenu en fief du roi, pour lequel elle réclame une faveur car il est en ruine12 et s'installe durablement dans l'économie verrière.

7 05 1472, noble nicolas caquerel verrier dem. au four de la forêt de cuise confesse que honn. et sage Regnault le pere receveur de Valois pour la duchesse d'orléans le tient quitte de 30 livres t sur la somme qu'il pouvait devoir a madite dame à cause de la prise des fougères de la forêt de rest appartenant à icelle dame13.

La toponymie postérieure se réfère souvent à l'activité verrière de cette forêt, à savoir pour le début du XVIe siècle : à Villers-Cotterêts, plusieurs mentions de Caquerel (ou hoirs Caquerel) ; vente aux verriers près du chemin de La Ferté ; à Antilly, vente aux verriers ; à Largny-sur-Automne, présence de Jehan Cocquerel ; il y a également un four Robin en 1529 dans cette même forêt14. À propos de la région de Laon et de Soissons figure cette mention : Des II voieries neant l'on ne trouve qui les veulle [...] CCXXX jusques a deux anz a Jehan le Senent pour XX sous. Un peu à l'écart de cette zone, la ville de Carlepont nous introduit au cœur originel de certaines familles (Bongard, Brossard). Une verrerie y est attestée en 152415.

Aux confins de l'Aisne et de la Marne, dans le Tardenois, les Gaultier, qui créèrent le four de Charles-Fontaine, ont repris celui de Grisolles. En 1537, le roi gratifie Antoine Gaultier, maître de la verrerie, de tout le bois mort qu'il ramassera durant un an dans la forêt de Retz, vaste de plus de trois mille arpents, pour le chauffage de sa verrerie. Au sud de Paris, le roi Charles VI manifeste également son attention vers la forêt de Chevreuse, près de laquelle il s'attarde pour voir faire des verres16.

Les Brossard sont originaires de la Thiérache. Ils y travaillent le verre dans le courant du XVe siècle : Richard de Brossard, verrier à la Fère au début du siècle, Perrot de Brossard, verrier au Bois-Mallet en 1457. Peu à peu, ils vont davantage s'implanter dans cette région et plus au sud encore. Étienne de Brossard présent à Carlepont et à Charles-Fontaine en 1529, a repris par mariage cet établissement détenu originellement par les Gauthier. Jean Brossard figure également dans cette entreprise où l'on façonne, notamment, des verres à pied. Dans l'Avesnois, cette famille paraît également attirée par la sidérurgie17.

La famille (de) Caquerai (Caqueray, Cacqueray, Coquerel) est originaire du Valois. La première mention d'un verrier de ce nom dans la région est celle de Raymond Coquerel, au tout début du XIVe siècle, même si la confusion est possible avec la maison de Quoquerel. On la rencontre bientôt en forêt de Lyons, en Normandie. Ce nom est implanté dans la région au cours du XIVe siècle : Henry Caquerel est verdier des forêts de Criquebec, aux gages de 7 livres et demie le 12 avril 137118. Leur nom apparaît en 1397 dans le cartulaire de Saint-Pierre-en-Chastres (Saint-Pierre-au-Mont-de-Châtre), dans le Soissonnais.

D'après madame Sautai-Dossin, les Caquerai possèdent au XIVe siècle au moins deux verreries importantes en forêt de Compiègne. Le 19 août 1444, Jean de Caquerel et sa femme Ysabeline Testarde demandent une faveur en vue de rétablir un hôtel d'Ysabeline, tenu en fief du roi, et nommé hôtel de Bauru. En forêt de Cuise, Oudin Caqueret (ou Quaqueret) avait obtenu peu de temps avant (1441) le renouvellement, par le roi Charles VII, de l'usage de son four à verres d'en hault. Il possédait également une verrerie à Saint-Sauveur. Son parent Nicolas Caquerel, noble, verrier demeurant au « four de la forêt de Cuise » est rendu quitte par le receveur de Valois de la somme de 30 livres tournois qu'il devait pour la prise des fougères de la forêt de Rest appartenant à la duchesse d'Orléans le 7 mai 147219. Guillaume de Caquerai, époux d'Antoinette du Bosc dans les dernières années du XVe siècle, est seigneur de la Folie, au comté de Valois20. Son fils Jehan travaille en 1497 « en l'artifice de verrerie » de la Croix du Ménillet. Il a épousé Jeanne de Bouju, fille de noble Josse de Bouju sieur en partie de la Croix Dame Alets du Ménillet et de Louise de Belleville, demeurant à la Croix du Ménillet. Par ailleurs, cet écuyer maître d'artifice de verrerie achète à Robert de Brossard tout le droit que celui-ci avait en la Vieille Verrerie de Bezu, sise au triage de la Morotte, en la Haye de Neufmarché le 25 juillet 1503. Dans les comptes de Saint-Pierre-en-Chastres, Jehan Caquerel, maître du four à verres de la Folie, doit une rente de 4 livres parisis pour des terres proches de la Folie, entre 1491 et 1522. Noble Antoine Caquerel, fils de Jean, écuyer natif du pays de Valois, diocèse de Soissons, épouse le 10 octobre 1491 Marie Ponnard, fille de l'écuyer Louis Ponnard, de la paroisse d'Yvoy, en Berry, en s'implantant dans cette région du centre du royaume21.

Très tôt présente en Normandie, la famille Le Vaillant puise ses racines en Thiérache. Elle semble alors établie dans le département actuel de l'Oise, à Sérifontaine. Mais certains de ses membres apparaissent au début du XVe siècle dans la forêt de Lyons : Colin Le Vaillant est passible d'une amende de 6 sous, en 1415, en la verderie de Beaumont ; Pierre Le Vaillant est sergent de la forêt de Lyons en 142022. L'activité verrière des Le Vaillant, déjà quelque peu implantés localement, coïncide, en forêt de Lyons, avec l'émigration, vers 1460-1470, d'un verrier exerçant dans le Beauvaisis voisin. À cette époque, de solides alliances sont établies entre ces maisons partout en Normandie. Loin d'une quelconque dépendance économique, sensible en forêt d'Eu par exemple, les verriers tissent avec certaines administrations des liens d'entente complice ou d'intérêt réciproque. Au milieu du XVe siècle, trois frères Le Vaillant font valoir la verrerie de Thelle, en Beauvaisis : Jean, Pierre et Adam. C'est Pierre qui nous intéresse. D'après un document, il est recensé avec un certain Loys Le Vaillant parmi les membres d'une troupe d'hommes en armes de la châtellenie de Lyons en 147023. On le revoit en 1472, qualifié d'écuyer verrier et demeurant en la paroisse de Bézu.

Pierre Le Vaillant est sieur de la Clopperie en Thiérache lorsqu'il s'installe à Rétonval vers 1500. Un mariage permet aux frères d'être représentés également en Beauvaisis au début du XVIe siècle.

∧  Haut de pageConclusion

Le XVe siècle et la guerre de Cent Ans marquent une période noire pour la forêt et le château. En 1499, la forêt revient en apanage à François de Valois, futur roi François Ier. Le roi qui apprécie beaucoup cette forêt y fait de nombreux travaux et aménagements : création de la capitainerie de chasses de Villers-Cotterêts, percement des premières laies, reconstruction du château de Villers-Cotterêts, construction d'importants ouvrages de captages des sources pour alimenter en eau le château et le bourg. Il met également en place une gestion plus rationnelle de la forêt où les droits d'usage sont mieux réglementés et les voleurs réprimés.

De nouveaux bâtiments s'élèvent, tels les hôtels de ville de Compiègne et Noyon, le château de Chantilly, mais aussi des églises de style gothique flamboyant.

L'innovation, selon moi, se situe d'abord dans le déterminisme politique de l'action royale. Philippe Auguste renouvelle la propriété monacale, dynamise la gestion forestière, favorise l'activité économique générale au sein de cette forêt tout particulièrement. Elle apparaît également dans la production verrière ; son action s'est dirigée dans la plupart des chantiers de construction, de reconstruction ou d'embellissement d'églises valoisiennes au cours du XIIIe siècle.

Philippe Auguste et ses successeurs représentent des premiers « sponsors » de l'activité économique et, a fortiori, « artistique » dans cette région. Il sera suivi en l'occurrence par ses successeurs de la maison des capétiens directs et de la maison de Valois. À la fin de celle-ci cependant, de nouveaux centres d'intérêt nationaux et internationaux et un éminent désir de pacification du royaume, avec l'avènement des Bourbons et celui tout particulier du roi Henri IV, détournent les mannes royales de cette région.

Michel Philippe

  • 1.  ↑  Retheuil : Aisne, ar. Compiègne, cant. Attichy ; Chaudun et Buzancy : Aisne, ar. Soissons, cant. Oulchy-le-Château.
  • 2.  ↑  Baldwin, John W., Recueil des Historiens de la France, Documents financiers et administratifs, tome VII, les registres de Philippe Auguste, publiés par John W. Baldwin, sous la direction de Robert-Henri Bautier, vol. 1 : Texte, Paris, Imprimerie Nationale : de Boccard, 1992, p. 42, Inquisitiones : Enquête vers 1214 sur les droits du comte de Soissons dans la forêt de retz « (lignario et eschalaciis) eschalacios ad vineas suas et merreum ad hospitandum ».
  • 3.  ↑  AN, idem, p. 43, d'après AN, JJ7, Inquisitiones, mai 1215, fol. 97v.
  • 4.  ↑  Idem, p. 44, mai 1215.
  • 5.  ↑  Idem, p. 73, d'après AN, JJ 7 fol 136v (cancellé).
  • 6.  ↑  Idem, p. 74, d'après AN, JJ7, fol. 137 cancellé (autre enquête de mai 1215 à 1220).
  • 7.  ↑  Idem, mai 1215 à 1220, fol. 75.
  • 8.  ↑  D'après Chronique de l'abbaye Saint-Jean des Vignes, de Soissons, p. 134 et 135, Dormay, t. II, p. 193 et suiv., 161, 172. Mss de Berlette et de Cabaret. Histoire de Soissons, depuis les temps les plus reculés jusqu'à nos jours par Henry Martin et Paul-L. Jacob, II, Soissons, Arnould libraire ; Paris, Silvestre libraire 1837.
  • 9.  ↑  Jean Mesqui, « Le château de Crépy en Valois, palais royal, palais comtal, palais féodal », dans Bulletin Monumental, t. 152-III, 1994, p. 257-312. Sur Crépy en Valois : Charles Fèvre, Histoire de Crépy en Valois durant la dynastie capétienne, sd.
  • 10.  ↑  Bibl. nat. de France, PO 592, acte de 1472.
  • 11.  ↑  A.-V. Sautai-Dossin, « Premières recherches sur les verrières en forêt de Compiègne », Revue Archéologique, 2e trimestre, 1973, n° 4, p. 59-65, fouille du site verrier du Vieux-Moulin, estimé XIVe-XVe siècles.
  • 12.  ↑  Bibl. nat. de France, PO 592, 19 août 1444, l'hôtel appartient à Isabeline Testarde, épouse de Jehan de Caquerel.
  • 13.  ↑  Bibl. nat. de France, PO 592, Caquerel.
  • 14.  ↑  Arch. nat., R4 140, 14 avril 1529 ; le terme de four peut aussi s'appliquer à d'autres types d'industries consommatrices de bois : métallurgie, poterie, tuilerie, chauffournerie ; on raisonne ici en termes de probabilités.
  • 15.  ↑  Bibl. nat. de France, fr. 25995, pièce 27, années 1328-1334. On suppose qu'il y avait un C de plus.
  • 16.  ↑  Bibl. nat de France, P O 527, première mention de la verrerie de Carlepont ; Arch. nat., J 962, n° 19, 2 juin 1537, pour la gratification royale au verrier de Grisolles ; Gerspach, L'Art de la verrerie, Paris, 1885, p. 198, pour la visite royale en la verrerie de Chevreuse. Antilly : Oise, ar. Senlis, cant. Betz ; Largny-sur-Automne : Aisne, ar. Soissons, cant. Villers-Cotterêts. Grisolles : Aisne, ar. Château-Thierry, cant. Neuilly-Saint-Front.
  • 17.  ↑  Bibl. nat. de France, P O 527, fol. 123, généalogie de la famille ; Arch. nat., R4* 985-1, décembre 1529, copie collationnée à l'original du bail de la verrerie de Charles-Fontaine, par Étienne de Brossart, écuyer ; sur leur présence dans l'Argonne, abbé Gillard, « Les gentilshommes verriers d'Argonne », extrait de la Revue d'Ardenne et d'Argonne, Verdun, 1930 ; sur l'implication des Brossard de Thiérache dans la sidérurgie, voir Arch. dép. Nord, 9 H 1504, 26 octobre 1584, achat de 230 cordes de bois par Jean Brossart, maître de forge, moyennant 138 livres.
  • 18.  ↑  Bibl. nat. de France, P O 592.
  • 19.  ↑  Sur les verreries de la forêt de Compiègne, A.-V. Sautai-Dossin, « Premières recherches sur les verrières en forêt de Compiègne », Revue archéologique, 2e trimestre, 1973, n° 4, p. 59-65 ; Bibl. nat. de France, P O 592, actes du 19 août 1444 et du 7 mai 1472 ; N. Bergeron, Le Valoys royal, 1583, p. 58, renouvellement de l'usage du four d'en haut, année 1441 ; G. de Caqueray, Évocations du passé familial. Notes généalogiques […] sur les Caqueray ou Cacqueray, Dinard, 1947, p. 37, sur le four de Saint-Sauveur.
  • 20.  ↑  G. de Caqueray, op. cit., et Bibl. nat. de France, P O 592, 30 novembre 1497.
  • 21.  ↑  Traité de mariage extrait des reg. du tabellionnage des Trois villes Saint-Denis; Bibl. nat. de France, P O 592, actes des 30 novembre 1497 et 25 juillet 1503 et abbé Carlier, Histoire du duché de Valois, 1764, t. II, p. 483 ; sur le Caquerel écuyer maître de la verrerie de la Folie et sur l'alliance Caquerai/Ponnard, Bibl. nat. de France, fr 31905, fol. 5v.
  • 22.  ↑  Charpillon, Dictionnaire historique de toutes les communes du département de l'Eure, Les Andelys, 1868-1879, en deux vol., et Arch. dép. Eure, 2 F 4067, Documents isolés provenant d'achats, dons ou legs.
  • 23.  ↑  N. de Saint-Allais, Nobiliaire universel de France, Paris, 1814-1843, 21 vol., t. 6, p. 289 et suiv. : montre des nobles des bailliages de Caux et de Gisors, châtellenie de Lyons (1470-1471).