Actes du premier colloque international de l'association Verre et Histoire, Paris-La Défense / Versailles, 13-15 octobre 2005

Alain BOUTHIER
Maître de conférences retraité
Laboratoire d'Archéologie, UMR 85 46 CNRS / ENS
École Normale Supérieure, Paris (France)

Une table en fer battu à couler les glaces à Cosne-sur-Loire (Nièvre) en 1699

Le 3 août 1699, en présence de Bertrand Lottin, représentants des « Intéressés de la Compagnie pour la fabrication de la table en fer battu à couler les glaces », le notaire Moyreau fait dans les forges, le magasin et les ateliers de Cosne l’inventaire des outils, ustenciles et bois destinés à fabriquer une table en fer pour couler les glaces. La liste de ces Intéressés n’a pu être retrouvée, ni le traité de société. Le cosnois Claude Grégoire de la Tour, « Ingénieur du Roy », et « orlogeur de Mgr le duc de Chartres », en faisait partie.

L’inventaire mentionne une table en fonte de 8 pieds de long sur 4 de large et quatorze barres de fer de 9,5 pieds de long sur 4 pouces de large. Les côtes de la table en fonte, comme celles des barres de fer, sont donc très proches de celles de la table alors en usage à la manufacture de Saint-Gobain (avant 1700, la table de cuivre mesure 10 pieds de long sur 6,5 de large ; en 1700, la table est constituée de lames de fer assemblées, de 10 pieds 1 pouce de long sur 6 pieds 2 pouces de large).

Cosne faisait partie de la Généralité d’Orléans ; l’orléanais Bernard Perrot était-il l’un des intéressés ?

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Schéma : table de coulée 18e

Fig. 1 : La table de coulée au XVIIIe siècle, extr. de M. Hamon, D. Perrin, éd. P.A.U., 1993.

Le 3 août 1699 à Cosne-sur-Loire le notaire Simon Moyreau est requis pour procéder à l’inventaire des outils, ustensiles et bois se trouvant dans les forges, le magasin et les ateliers qui, établis en bord de Loire à Cosne, sont destinés à la fabrication d’une table en fer battu pour couler les glaces. Cet état, malheureusement isolé, a été dressé en présence de Bertrand Lottin, directeur pour la fourniture des fers de la Marine de Nivernois, fondé de pouvoir des Intéressés de la « Compagnie pour la fabrication de la table en fer battu à couler les glaces »1. Ni la liste de ces Intéressés n’a pu être retrouvée, ni le traité de société. Devait cependant en faire partie le cosnois Claude Grégoire de la Tour. Qui était ce personnage ?


∧  Haut de page1. Claude Grégoire de la Tour

Claude Grégoire, fils ainé de Hélie Grégoire « marchant maître armurier », « maître arquebuzier », « entrepreneur de la manufacture des mousquets à faire pour sa Majesté en cette ville » et enfin « ingenieur et entrepreneur pour le Roy des gros canons de fer battu » (Bouthier, 1996) et de Perrette Chenille, baptisé le 8 septembre 1653, séjourne d’abord à Paris, où il est installé « maistre orlogeur » dans le quartier Saint-Eustache, dès juillet 1684 rue Greneta, puis rue des Petits Champs en août 1685 (Bouthier, 1998). Il y forme Jacques Cousinot, sorti d’apprentissage, engagé pour deux années et demies supplémentaires, à partir du 14 septembre 16842, et Germain Gassion, pris en apprentissage pour six ans à partir du 1er janvier 16853. Aux environs de mars 1695, il demeure au Palais Royal, rue Saint-Honoré. On le retrouve « orlogeur de Mgr le duc de Chartres » (futur duc d’Orléans et plus tard Régent (février 1696). Le 12 mai 1697, il obtient un « privilege pour une machine qui fait connoitre la quantité d’eau ou de vin qu’on tire ou qu’on remet dans un tonneau », et un peu plus tard dans le même mois un autre privilège lui sera accordé « pour un instrument appellé vinometre, au moyen duquel on connoist ce qui a esté tiré d’un muid de vin et ce qui peut y avoir esté remis ». Là encore aucun croquis n’étant annexé aux brevets officiels, il est difficile de se faire une idée concrète des instruments et de leur originalité4. Est-ce à cette époque qu’il a réalisé la « pendulle sonnante faite à Paris par Gregoire dans sa boitte de Chine en marqueterie à colonnes et ornements de cuivre sur son pied en consolle de bois avec un thermometre et un barometre »5 et la « petite montre à boiste d’or et pendulle faite à Paris par Gregoire dans son estuy de chagrin et chainette d’or »6, il est évidemment difficile d’en être assuré7.

Entre-temps il avait hérité du haut-fourneau de Cosne8 après le décès de son père le 24 décembre 1693, il a donc regagné Cosne ; le 4 mars 1695, associé avec Louis Henri Berthelot, écuyer sieur de Saint-Laurent et François Coustain écuyer sieur de Beaumont, il prend à bail auprès de Jean du Faur chevalier seigneur de Courcelles-le-Roi, pour neuf ans et 300 livres par an, la forge de Moulin Levesque9, puis, toujours avec les mêmes associés, il en prend possession le 20 mai 1695, suite aux assignations des 14 et 18 mai faites à sa requête10.

∧  Haut de page2. Mémoire pour la fabrication d’une « table en fer à couler les glaces »

Le 13 septembre 1698, avec son frère Laurent, ingénieur du roi, le sieur Grégoire signe, sous seing privé passé devant le notaire Moyreau, un acte qui règle les frais de réparation des moulins et des forges de l’Arsenal de Cosne. Ils possèdent désormais une deuxième forge, « la grosse forge de Cosne ». Le 4 décembre 1698, Claude Grégoire fait établir la collation d’un acte passé entre Bertellot de Saint-Laurent et lui11. Notre acte vient donc prendre place dans ce contexte.

Aujourd’huy 26 septembre 1699 avant midy pardevant moy notaire royal et greffier des conventions soubsigné est comparu en personne Bertrand Lotin, directeur pour la fourniture des fers de la Marine de Nivernois, demeurant de present en cette ville de Cosne, logé au logis du Lion d’Or, lequel au nom et comme fondé de pouvoir des Sieurs Intéressés pour la fabrication de la table de fert battu à couler glasses en datte du 21 du courant par luy presentement rapporté et retiré m’a prié me voulloir avec luy et le sieur Claude Gregoire de la Tour me transporter au dedans des forges magazin et hastellier establis sur le bord de la riviere de Loire de cette ville de Cosne pour là estant à la representation que nous fera ledit sr Gregoire faire un brief estat et memoire des outils, ustanciles et bois qui se trouveront esdits lieux faits et destinés pour la fabrication de la table de fert battu à couller glasses sous l’entreprise faitte par economie par led. sieur Gregoire et ensuitte luy en donner acte à quoy aderant je me suis avec lesdits sieurs Lotin et Gregoire transporté ausdits lieux où estant et proceddant aud. estat et memoire des outils, ustanciles et bois et commencant par la grande place dependant desdits lieux ledit sieur Gregoire nous a representé ce qui suit :
Premierement cinq pieces de bois de siage dont il y en a trois de quatorze à quinze pieds de long et deux autres de cinq à six pieds aussy de long dans lesquelles il y a des mortaizes de quatre pouces d’epais,
plus deux solliveaux de douze pieds chacun de long et de cinq pouces d’ecarisage,
plus quatorze autres solliveaux scavoir onze de onze à douze pieds de long et trois de six pieds aussy de long le tout de cinq à six pouces d’ecarisage,
plus deux grandes coullises pour le marteau à plouier les barres de quinze pieds de long et dix à onze pouces d’ecarisage,
plus le manche du marteau de sept pieds de long et ung pied ou environ d’ecarisage,
l’estocq pour l’enclume composé de cinq pieces de bois toutte fassonné prest à poser,
plus trois solliveaux de six pieds de long et sept pieces de siage tant longues que petites depuis cinq pieds jusques neuf de long et quatre à six pouces d’ecarisage,
plus deux grose pieces en forme de poutre l’une de cinq pieds de long, l’autre de huit à neuf pieds, d’ung pied d’ecarisage,
plus cinq courbes pour le Roy et cinq pelottes,
qui est tout ce qui est trouvé sur laditte place, et de là nous sommes entrés dans le magazin dans lequel c’est trouvé :
Premierement une enclume de fert battu, ung marteau pour lad. enclume, le tout estiré et limé prest à tremper pezant ensemble quatre cens quatre vingt cinq livres     485 l.
plus quatorze grandes barres de fert de neuf pieds et demy de long de quatre pouces de large et quatorze lignes d’epais pezant ensemble deux mil cinq cens soixante et dix livres     2 570 l.
plus treize cens autres petittes barres de fert pezant mil quatre cens seize livres     1 416 l.
plus deux marteaux à main et ung marteau à frapper devant marqué à la lettre      id.
plus deux paires de tenailles marqués idem      id.
plus une boullonniere avec sa fraize et dix burins, deux escroueres et despendances
plus un empoise à la lettre     id.
plus trois fillieres et leurs tarrods
plus un arbre à tourner avec sa poullie
plus quatre limes carrées
plus deux poinssons d’assier à perser
plus quatre grosse queües de rat
plus trois cens quatre vingt six boullons garnis de leurs escrous
plus huit carreaux prest à tailler pour limes
plus une table de fonte de fert de huit pieds de long et de quatre pieds de large plus une grosse meulle à esguiser outils avec sa quouture
plus un gros soufflet de cuir de forge
plus une petitte enclume à bigorne
plus un tour pour tourner les boullons avec ses poupées et sa pod?
plus un etabely de menusier
plus quatre gros billots d’enclume
plus quinze toizes de solliveaux de dix à douze pieds de long et de cinq à six pouces d’ecarisage à dix sols la toize
plus un petit batteau

qui sont tous les outils, ustanciles et bois que led. sieur Gregoire a representé et de [...]dée par luy faite pour laditte utillité de la fabrication de laditte table à couller glasses et tous lesquels ustanciles et bois cy dessus esnoncés ont eté par led. sieur Lotin, en consequence de sondit pouvoir pour et au nom de laditte Compaignie, mis dans ledit magazin et puis laissés par luy en la charge et garde du sieur Jean Baptiste Pallisseau, escrivain du Roy juré de la marine demeurant de present en cette ville de Cosne, qui s’en est vollontairement chargé et promets de les representer touttesfois et quantes aux peines de droit à laditte Compaignie ou personne preposée pour ce, ce que vu par ledit sieur Gregoire de la Tour a declaré ausdits sieur Lotin audit nom pour laditte Compaignie et audit sr Pallisseau que iceluy sr Pallisseau ne pourra ce desfaire ny vendre (de) ses mains desd. outils, ustancilz et bois cy dessus à luy laissés en charge, à quoy il s’oppose dés à present, qu’au prealable laditte Compaignie ou quoy que ce soit le sieur Perier caissier d’icelle ne luy ayt rendu son billet qu’il luy a donné de la somme de quinze cens livres, qu’il a touché pour employer la despense de la fabrication de laditte table, comme aussy qu’ilz n’ayt deu payé des appointements qui luy couroient dés depuis le premier mars dernier jusque à cejourd’huy et qu’il n’ayt appuré ses comptes à laditte Compaignie ou personne par elle preposée ou en leur valeur, aprés d’en repondre par led. sr Pallisseau, et plus ledit sieur Lotin pour laditte Compaignie a dit faire protestation contraire à celle dudit sr Gregoire et precisee en son ordre et que led. sieur Gregoire rendra ses comptes [...], dont et de tout ce que dessus j’ay ausdittes parties fait et donné acte pour leurs servir et valloir en temps et lieu ce que de raison. fait et passé en presence de Vincent Guillault, marchand, et Agnan Vée, serurier, demeurant aud. Cosne.

Grégoire de la Tour est encore présent à Cosne le 11 octobre 1699 où on le voit parrainer Claude Fromont, fils du forgeron Dominique Fromont12, puis le 29 mars 1700 où, cette fois, il parraine Elisabeth Triboulet13.


  • 1.  « Brief estat et memoire des outils ustenciles et bois qui se trouveront dans les forges magasin et hastelliers establis sur le bord de la riviere de Loire de cette ville de Cosne faits et destinés pour la fabrication de la table en fer battu à couller glasses par Me Simon Moyreau en presence de Bertrand Lottin, directeur pour la fourniture des fers de la marine de Nivernois fondé de pouvoir des Interessés pour la fabrication de la table en fer battu à couller glasses, et de Claude Gregoire de la Tour, lesquels devraient être remis à Jean-Baptiste Palisseau, escrivain du Roy juré de la Marine.... », dans Arch. dép. Nièvre, 3 E 7 148, Moyreau, 3 août 1699.  ↑
  • 2.  « Jacques Cousinot ancien apprenty de Claude Gregoire Me orlogeur rue Greneta paroisse St Sauveur pour se parfaictionner dans sa vaccation a promis aud. Gregoire de continuer à le servir et travailler pour luy pendant 2 années et demie à compter de ce jour d’huy, et desistement mutuel de la convention susdite et de la plainte deposée par Gregoire contre Cousinot devant le commissaire Camuset », dans Arch. Nat., M. C., ét. XXX, 95, Blanchard, 14 septembre 1684 et 25 janvier 1685.  ↑
  • 3.  « Convention d’apprentissage entre Claude Gregoire Me orlogeur rue Greneta et Jeanne Larcher veuve de Mathurin Gassion bourgeois de Paris demeurant Montagne Sainte Genevieve pour mettre en apprentissage son fils Germain pour six ans moyennant 300 livres », dans Arch. Nat., M. C., ét. XXX, 95, Blanchard, 17 juillet 1684.  ↑
  • 4.  « Privilege à Claude Gregoire pour une machine qui fait connoitre la quantité d’eau ou de vin qu’on tire ou qu’on remet dans un tonneau », dans Arch. Nat. O1, 41, fol. 72 v°, 12 mai 1697 ; et « privilege à Claude Gregoire Ingénieur pour un instrument appellé vinometre, au moyen duquel on connoist ce qui a esté tiré d’un muid de vin et ce qui peut y avoir esté remis », dans Arch. Nat., O1, 41, fol. 224, mai 1697.  ↑
  • 5.  « Prisés ensemble 240 livres » dans l’inventaire après décès de Pierre Gruyn d’Evry, garde du Trésor Royal, lequel possédait aussi quatre pendules réalisées par Gaudron et une par Masson, horlogers travaillant à la fin du xviie siècle, dans Arch. Nat., M. C., ét. XIV, 255, Le Masle, 16 mars 1722.  ↑
  • 6.  « Prisée 60 livres », dans l’inventaire après décès de Georges Gallon comte de Montemagne, lequel possédait aussi une pendule réalisée par Thuret horloger travaillant à la fin du xviie siècle, dans Arch. Nat., M. C., ét. XCII, 328, Lange, 2 décembre 1704.  ↑
  • 7.  Plus tard on le trouvera « ingénieur du Roi estant en ce païs pour les affaires de Sa Majesté », idem, août 1704, Commissaire d’artillerie au département d’Ile de France vers 1707, écuyer sieur de la Tour puis seigneur de Port-Aubry et Port à la Dame par achat de ces fiefs au duc de Nevers le 22 mars 1710, Conseiller du Roi et gouverneur pour le Roy de la ville de Cosne vers 1711 jusqu’en 1723, il va décéder à Cosne le 2 mars 1733.  ↑
  • 8.  « Fourneau de Cosne au Sr. Grégoire propriétaire, travaillant 11 mois sur 12 et fabriquant 60 milliers de boulets par mois à 30 £ par millier », État des fourneaux du Nivernois par Th. Lefèvre de Chassenay, dans Arch. Nat., Marine, D3, 31, fol. 106-107.  ↑
  • 9.  Arch. Nat., M. C., ét. VI, 601, notaire de Clersin.  ↑
  • 10.  Arch. dép. Nièvre, 3 E 7 205, notaire Dagot.  ↑
  • 11.  Idem, 2C, 486, notaire Moyreau, 17 décembre 1699.  ↑
  • 12.  Arch. Mun. Cosne, GG6, reg. paroissiaux Saint-Jacques.  ↑
  • 13.  Idem, GG7.  ↑