Actes du premier colloque international de l'association Verre et Histoire, Paris-La Défense / Versailles, 13-15 octobre 2005

Christiane ROUSSEL
Conservateur du Patrimoine
Inventaire général du patrimoine culturel de Franche-Comté (France)

L’usage du verre à vitre en Franche-Comté aux xviie et xviiie siècles

L’usage du verre à vitre en Franche-Comté, région de tradition verrière, se répandit dès le xvie siècle. Toutefois, d’après les observations faites sur certains édifices bisontins, ou d’autres exemples, les progrès les plus significatifs en matière de fenêtres s’effectuèrent entre la deuxième moitié du xviie siècle et la fin du siècle suivant. Au départ, des petits panneaux de verre en losanges mis en plomb étaient logés dans d’étroites ouvertures pour aboutir, à la fin du xviiie siècle, aux fenêtres à grands carreaux munies d’une espagnolette.

The use of window glass in Franche-Comté, a traditional glass county, was common since the 16th century. However, from the study of buildings in Besançon and other examples, the most notable progress happened between the second half of the 17th century and the end of the next century. At the beginning, small panels of leaded diamond-shaped glass were installed in small openings to end up, at the end of the 18th century with large panes set in windows with ʻespagnoletteʼ bolts.

L’observation des demeures de la ville de Besançon montre que les fenêtres à meneaux et croisillons en pierre furent abandonnées peu après le milieu du xvie siècle au profit de meneaux simples, sans modénature, divisant la baie verticalement en plusieurs compartiments1. Dans ces étroites ouvertures étaient insérés des panneaux de verre mis en plomb. La Franche-Comté, région de tradition verrière, était à même de fournir le verre nécessaire, ainsi que les verreries voisines de la Lorraine du sud, aux marges des deux provinces, à proximité de la grande forêt de Darney. Le verre en manchon de couleur verdâtre ne pouvait cependant pas rivaliser avec la qualité du verre dit de France, provenant de Normandie et largement utilisé à Paris.

∧  Haut de pageLes meneaux et croisillons en bois : 1660 - vers 1730

C’est à partir du dernier tiers du xviie siècle que l’on constate, dans les constructions neuves, l’abandon progressif des meneaux en pierre puis l’élargissement des baies en hauteur et en largeur2. L’intérieur de la baie fut laissé par le tailleur de pierre aux seuls menuisier, serrurier et vitrier.

Durant l’Ancien Régime, l’usage régional n’exigeait pas de devis devant notaire pour les constructions privées. Aussi, pour connaître les nouvelles manières de vitrer, doit-on se tourner vers les archives des communautés religieuses ou celles des édifices publics, plus accessibles3.

En 1664, le marché passé entre les bénédictins de l’abbaye Saint-Vincent de Besançon et le menuisier Claude Maillot indique que les ouvertures d’un bâtiment nouvellement construit, seront des « croisées de fenêtres » en bois. Réalisées en chêne, elles seraient composées d’un meneau central et d’une ou plusieurs traverses4. C’est ce type à deux traverses qui subsiste sur l’une des façades de l’hôpital Saint-Jacques de la ville, construit entre 1686 et 1700 (fig. 1). Les fenêtres encore récemment conservées sur l’élévation, côté cour, du grand séminaire de Besançon, adoptaient quant à elles une forme de croix grecque. Un devis de menuiserie pour l’agrandissement du séminaire établi par le menuisier François Soleil les date avec vraisemblance de 1714 (fig. 2), et mentionne, entre autre, des fenêtres « bombées » (c’est-à-dire couvertes d’un arc segmentaire) « en hauteur de six pieds six pouces et en largeur de trois pieds dix pouces assortis de dormans à minaux (meneaux) ronds avec quatre chassis à rejets d’eau »5.

Photo : Besançon, Hôpital Saint-Jacques, croisées de fenêtre, crédit J. Mongreville, Inventaire général / ADAGP

Fig. 1 : Hôpital Saint-Jacques de Besançon, « Croisées de fenêtre » en bois à deux traverses et meneau, de la fin du xviie siècle. Des panneaux à petits bois ont remplacé les vitreries à losanges d’origine.
Phot. Inv. J. Mongreville © Inventaire général, ADAGP, 1997.

Photo : Besançon, Grand séminaire, croisées de fenêtre, crédit J. Mongreville, Inventaire général / ADAGP

Fig. 2 : Grand séminaire de Besançon, « Croisées de fenêtre » en bois en forme de croix grecque sur la façade de la première cour, vraisemblablement datées 1714.
Phot. Inv. J. Mongreville © Inventaire général, ADAGP, 1997.


Dans ces menuiseries dormantes étaient placés, comme par le passé, des panneaux de verre mis en plomb. Ce n’est en effet que vers 1710 que l’on commença à réaliser ça et là des panneaux à petits bois, tels les quatre que fabrique en 1714 le menuisier Jean-Pierre Galezot pour le salon de l’archevêque à Besançon6. La même année, le devis conservé et très détaillé de François Soleil pour le grand séminaire fait état de onze croisées réalisées à petits bois, toutes situées dans le « quartier du vicaire général », contre soixante autres effectuées de manière traditionnelle c’est-à-dire mises en plomb.

Peinture : détail de l'atelier de Jean-Louis Callier par JA Cornu , crédit J. Mongreville, Inventaire général / ADAGP

Fig. 3 : Détail de l’atelier du serrurier-estampeur-sculpteur bisontin Jean-Louis Callier dans la deuxième moitié du xviiie siècle, par le peintre J.A. Cornu (coll. Musée du Temps, Besançon). Tandis qu’au premier plan Callier dessine des motifs de ferronnerie, les ouvriers au deuxième plan en assurent l’exécution. À noter la précision du rendu : le foyer et son grand soufflet, l’outillage, les produits réalisés, etc.
Phot. Inv. J. Mongreville © Inventaire général, ADAGP, 1997.

Les attaches de fixation des châssis, les charnières et les systèmes de fermeture des panneaux de verre étaient fabriquées par le serrurier. La communauté des marchands serruriers était importante à Besançon : on en recensait déjà 29 en 1725 contre 34 menuisiers, pour une population qui n’excédait pas à l’époque 20 000 habitants7 (fig. 3). Dans les cas de faible hauteur des baies et surtout lorsque les châssis ouvrants étaient de mêmes dimensions et facilement accessibles, on les dotait de petits verrous appelés targettes qui coulissaient entre deux crampons. Ce système avait été utilisé pour les croisées du bâtiment neuf du séminaire en 1714. Le serrurier Jean Jacquet avait proposé en effet pour chaque croisée l’utilisation de « huit potences à escaires, huit escaires, huit tarjettes dans touttes celles que le séminaire jugera à propos et les autres six tarjettes, quatre crampons doubles, quatre gonds tous d’une pièce et à console, le tout de bon fer, bien fait fort et proprement accomodé »8. L’ensemble de ces pièces avait été réalisé avec du fer provenant de la forge de Moncley, située à environ vingt kilomètres de Besançon. Trois milliers de fer (environ une tonne et demie) avaient été nécessaires, non seulement pour ferrer les fenêtres et consolider la charpente, mais également pour fabriquer des barreaux à apposer devant les baies. En 1699, le devis pour les fenêtres du rez-de-chaussée de l’aile gauche et de « la salle d’en haut » de l’hôpital mentionnait également pour chaque baie l’utilisation de huit ou dix targettes et de six crochets avec leurs anneaux, afin de maintenir les châssis ouvrants à demi-ouverts et d’assurer ainsi une bonne aération des salles9.

Les targettes constituaient le système de fermeture le plus courant, mais lorsque les deux panneaux inférieurs étaient de plus grandes dimensions que ceux du dessus, on utilisait pour la fermeture des châssis ouvrants, de grands verrous à ressorts posés verticalement dont les pênes entraient dans des gâches fixées, soit au montant supérieur, soit dans l’appui de fenêtre10. Dans un « mémoire de la besogne » rédigé en 1665 par un serrurier de la ville pour le compte de l’abbaye Saint-Vincent, six fenêtres de six chambres nouvellement construites ont été dotées de douze grands verrous à ressorts, dont certains d’entre eux furent restaurés en 1742 par le serrurier Gaspard Monnier11.

À la fin du premier tiers du xviiie siècle, les devis de travaux de second œuvre devinrent plus précis, notamment ceux qui se rapportaient à la vitrerie, et à la provenance des verres. Dans la province, deux principales verreries fabriquaient du verre plat, selon la technique du manchon. Créée en 1729, la verrerie de Miellin diffusait sa production dans l’ouest de la région. Celle du Bief d’Etoz, fondée en 1699 près de la frontière suisse, fournissait plus particulièrement la ville de Besançon12.

Ses produits étaient spécifiquement requis dans le devis des ouvrages de vitrerie du nouveau couvent des religieuses Notre-Dame du Refuge à Besançon en 174113, pour l’extension du couvent Saint-Vincent, en 174314, ou pour la restauration du château de Villeparois (Haute-Saône), en 178215. Cependant, quand le lieu d’approvisionnement n’était pas spécifié, les maîtres d’ouvrage réclamaient toujours du verre « blanc », c’est-à-dire une qualité de verre garantissant une bonne luminosité intérieure. Sans doute avaient-ils encore sous les yeux de nombreux exemples de vitrerie en verre vert lorrain du xvie siècle, comme le confirme une visite des salines de Salins en 1744 où, dans l’un des logements subsistaient en effet de vieilles croisées vitrées « de verre vert et ancien qui ôte beaucoup de jour et quil convient de toutes les refaire à neuf et les garnir de verre blanc »16.

Dès le xve siècle, la forme la plus couramment utilisée pour les pièces mises en plomb était le losange. Mais dans la première moitié du xviiie siècle, parce que les découpes des feuilles de verre étaient sans doute aussi facilitées par l’absence de boudine, on remarque l’emploi d’autres formes. Ce sont « des lames et non des losanges », de dimensions non spécifiées qui avaient été exigées par l’abbaye de Saint-Vincent dans le contrat déjà cité de 1743. Pour le Refuge, le vitrier Anatoile Lambert avait proposé des « carreaux » de 5 pouces sur 7 (18,2 sur 13 cm). Il restait aux religieuses le choix de la qualité de verre en fonction du coût. Les « carreaux », d’au moins une ligne d’épaisseur, pouvaient être réalisés en « beau verre blanc », à raison de 96 par croisée, au prix de 10 livres 10 sols l’une, ou en verre « dit d’Allemagne », à 8 livres 10 sols, ou encore en « petit verre d’Allemagne en losanges », à 5 livres 10 sols.

Une fois découpé, le verre était mis en plomb, lui-même soudé et étamé des deux côtés. Chaque panneau était garni de baguettes de fer (appelées parfois « vergettes » ou « perchettes ») attachées avec des fils de fer blanc ou de cuivre. Placées à l’horizontale et espacées régulièrement, elles permettaient de raidir le châssis de verre et de leur assurer une tenue au vent.


  • 1.  Notons que la guerre de Dix ans (1636-1644), qui anéantit les trois quarts de la population comtoise, mit au xviie siècle un frein aux chantiers de construction jusqu’en 1660 au moins. Les deux guerres de conquête de la Franche-Comté par Louis XIV (1668 et 1674) reportèrent aussi certains projets. Cependant, après le traité de Nimègue en 1678, le rythme des constructions reprit sans faillir jusqu’à la fin du xviiie siècle.  ↑
  • 2.  Ces nouveaux formats de baies répondaient sans doute à une quête de la lumière mais aussi au souci d’une meilleure hygiène. Lorsque le grand séminaire demanda à la ville de Besançon la permission d’agrandir ses locaux en 1712, ce fut d’abord un problème d’hygiène qui fut évoqué : « ... ayant depuis long tems remarquez que touttes les années ils avoient tousjours très grand nombre de séminaristes malades, à cause que leurs bâtimens étans en quarré et très serré, les chaleurs y sont excessives ce qui cause un air très mal sain... » (Arch. dép. Doubs, G 918).  ↑
  • 3.  Les devis de construction du xviiie siècle des grands hôtels bisontins sont, en effet, rarement consultables : ils sont restés pour la plupart dans les archives privées des familles qui les avaient faits construire.  ↑
  • 4.  Marché du 16 novembre 1664 « pour faire toutes les fenêtres du bâtiment neuf » (Arch. dép. Doubs, 1 H 197). Le terme de « fenêtre à la française », utilisé dans certains manuels de menuiserie du xviiie siècle pour désigner ce type de fenêtre, n’apparaît jamais localement dans les devis.  ↑
  • 5.  Arch. dép. Doubs, G 918. Les menuiseries des dormants avaient en effet la caractéristique d’être arrondie sur la face, tout comme elles étaient souvent décorées d’un dé aux intersections.  ↑
  • 6.  Arch. dép. Doubs, G 977.  ↑
  • 7.  D’après « L’état de tous les marchands établis dans la ville » en 1725 (Bibl. mun. Besançon, Arch. mun. HH 29).  ↑
  • 8.  Arch. dép. Doubs, G 918.  ↑
  • 9.  « Devis des serruriers bisontins Louis Cêtre et Jean Jacque du 15 mars 1699 » (Arch. dép. Doubs, 53 J BB4 A).  ↑
  • 10.  Sur l’apparition à Paris de ce système de fermeture dans les mêmes années 1660, voir l’article de Belhoste J.-F. et Leproux G.-M., 1997 : « La fenêtre parisienne aux xviie et xviiie siècles : menuiserie, ferrure et vitrage ». In Fenêtres de Paris, xviie et xviiie siècles. Commission du Vieux Paris : Cahiers de la Rotonde, n° 18, p. 14-43, et la fig. 27 pour le dessin d’un verrou à ressort.  ↑
  • 11.  Mémoire de la besogne d’un serrurier (s.n.) durant l’année 1665 (Arch. dép. Doubs, 1 H 195) ; mémoire du serrurier Gaspard Monnier de 1742 (Arch. dép. Doubs, 1 H 197).  ↑
  • 12.  Sur la création des verreries et la fabrication du verre plat en Franche-Comté au xviiie siècle, voir Michel G.-J., Verriers et verreries en Franche-Comté du xviiie siècle. Paris : Erti, 1989, t. I, p. 69-112 et 255-257.  ↑
  • 13.  Arch. dép. Doubs, 135 H 7.  ↑
  • 14.  Arch. dép. Doubs, 1 H 194.  ↑
  • 15.  Arch. dép. Doubs, 1 H 436. Le château de Villeparois, situé près de Vesoul, était propriété de l’abbaye Saint-Vincent de Besançon au xviiie siècle.  ↑
  • 16.  Arch. dép. Jura, A 55. Il s’agissait du logement situé sur le puits d’amont de la Grande saline, et qui existe toujours.  ↑