Actes du premier colloque international de l'association Verre et Histoire, Paris-La Défense / Versailles, 13-15 octobre 2005

Mathieu LOURS
Université de Cergy (France)

Un problème insoluble : l’entretien des « vitres peintes » dans les églises parisiennes au xviiie siècle

La disparition des vitraux anciens au xviiie siècle a souvent été attribuée à des choix esthétiques radicaux de la part des responsables de l’aménagement des lieux de culte. Cependant, l’étude des sources émanant de trois églises parisiennes pourvues d’une parure de vitraux renaissances, Saint-Étienne-du-Mont, Saint-Gervais et Saint-Merry révèle que la question de l’entretien fut déterminante. Les aspects gestionnaires de cette question ont même été encore plus lourds de conséquences que la question de la compétence des artisans qui exercèrent dans ces édifices. La « mise en blanc » fut, dans ces églises, une solution qui satisfaisait tout autant le goût pour la pleine clarté que le désir d’une gestion administrative rigoureuse.

The disappearance of ancient stained-glass windows during the 18th century has often been seen as the result of radical aesthetical choices from the clergy. However studies on three Parisian churches with a large number of renaissance windows, Saint-Etienne-du-Mont, Saint-Gervais and Saint-Merry have stressed the issue of maintenance, the question of its cost being even more important than the skills of the glaziers who practiced in these sanctuaries. The solution of “whitening” these churches was a satisfying solution for the taste of this era as much as a consequence of the desire for a rigorous management of accounts.

Outre des aspects relevant de l’évolution du goût et qui sont assez bien connus, le problème de la conservation ou de la suppression des vitraux anciens met également en cause la gestion de l’entretien des vitraux par chacune des fabriques parisienne, dont les marguilliers étaient plus ou moins ouverts aux canons de luminosité promus de façon de plus en plus pressante par les architectes issus de l’Académie, surtout à partir de la décennie 1730. On ne peut donc réduire la disparition des vitraux anciens à une lente suppression des « vains ornements gothiques ». Pierre Le Vieil énonce clairement le problème dans son Histoire de la Peinture sur verre et de la vitrerie, plaidoyer en faveur du vitrail paru en 1774 : « Au lieu des anciennes vitres peintes, dont les formes vitrées étaient remplies et qui tombaient tous les jours en ruine ou par vétusté ou par un défaut d’entretien, quelquefois occasionné par le goût de notre siècle antipathique avec la peinture sur verre, on charge un vitrier de la garnir de vitres blanches de la façon qui aura été choisie ou acceptée par l’architecte »1. Tous les termes du sujet sont ici fort bien énoncés et nous sommes loin dans ce cas de la description d’un vandalisme au sens strict du terme. Bien au contraire, ce qui nous est décrit est un long processus de dépérissement des vitraux mettant en cause plusieurs acteurs, qui conduit à des solutions plus ou moins radicales. L’exemple de trois églises parisiennes, Saint-Étienne-du-Mont, Saint-Gervais et Saint-Merry, permet de mieux comprendre cette évolution.

∧  Haut de pageMarguilliers et vitriers

Les marguilliers des grandes églises parisiennes avaient la responsabilité de l’ensemble de la parure de leurs églises. Cela représentait un patrimoine énorme, sans doute une cinquantaine de vitraux à Saint-Étienne-du-Mont, plus les 19 vitraux des charniers, près de 55 à Saint-Gervais, dont, à la différence de Saint-Étienne, toutes les baies avaient dès l’origine été garnies de vitraux de couleur (sauf dans les baies 30, 32 et 34), dont ceux du chœur étaient des plus estimés. Saint-Merry en contenait un nombre comparable. C’était une tâche énorme pour les fabriques que d’assurer l’entretien de ces vitraux.

La meilleure description des tâches que devait accomplir le vitrier lié à une fabrique nous est donnée par le contrat rédigé lors de l’entrée en fonction de Chamus, maître-vitrier comme vitrier de Saint-Gervais2. Il s’agit tout d’abord de « nettoyer les vitres des chapelles plus la dite église pour chacune an », de remettre en plomb les panneaux le nécessitant, de « fournir les pièces de vitres de la mesme couleur et peintures que celles qui y sont », c’est-à-dire de réparer les vitraux avec les meilleurs bouche-trous possibles et d’assurer la fixation, tant sur le châssis de fer des barlotières, que sur les meneaux, avec le plâtre nécessaire. Les mêmes mentions sont faites à chaque changement de vitrier3. Les travaux annuels sont assez bon marché : entre 70 et 120 livres par an à Saint-Gervais, entre 100 et 120 livres à Saint-Étienne.

Lorsque de grosses réparations étaient à prévoir, d’autres mesures s’imposaient et les marchés mentionnent également l’entretien extraordinaire, nécessaire en cas de grosses casses, causées par des travaux de couverture, mais aussi par des incendies, comme à Saint-Étienne-du-Mont en 17604, et surtout par des « ouragans » mentionnés épisodiquement, en 1701 et 17785 à Saint-Gervais, en 1749 à Saint-Étienne6. Ceci imposait des dépenses beaucoup plus lourdes, parfois dix fois plus que l’entretien courant. Il n’était donc pas question comme pour l’entretien « ordinaire » de laisser les vitriers juges de cet entretien extraordinaire. À la fin de chaque « année comptable », le vitrier vient présenter au marguillier comptable l’ensemble de ses mémoires. Le marguillier comptable juge ce qui est de l’ordre de l’ordinaire et de l’ordre de l’extraordinaire, et décide de ce qui doit être payé au vitrier en sus de ses annuités, ce qui prêtait souvent à polémiques.

Il existait un système de contrôle très serré du vitrier. Encore assez lâche au début du siècle, comme en témoignent, en 1708, d’âpres marchandages entre les marguilliers de Saint-Gervais et leur vitrier, la veuve Janson, les organismes relais, destinés à contrôler le vitrier et tous les autres artisans dont le cas était semblable, se multiplient. Autre acteur, l’architecte de la paroisse qui était responsable des différents ouvrages en cours dans l’église et donc des différents corps de métier. Le vitrier de Saint-Gervais et de Saint-Étienne devaient lui soumettre leurs mémoires. L’architecte jugeait ce qui relevait de l’entretien ordinaire et de l’entretien extraordinaire et contresignait le mémoire, condition sine qua non du paiement du vitrier par le marguillier comptable. Après 1730 à Saint-Gervais, le marguillier comptable et l’architecte de la fabrique visitent les vitres une fois par an afin de vérifier que les travaux mentionnés dans les mémoires ont bien été réalisés7. Lorsque de grosses réparations doivent avoir lieu, l’architecte visite les vitraux, parfois accompagné du marguillier comptable afin de définir à l’avance les travaux à effectuer et à ne payer que ceux-ci. Ceci visait à éviter toute initiative de la part du vitrier.



  • 1.  Pierre LE VIEIL, L’Art de la Peinture sur verre et de la vitrerie, Paris, 1774, p. 199.  ↑
  • 2.  Arch. Nat., LL 749, septembre juillet 1709.  ↑
  • 3.  Du moins dans la première moitié du siècle. Nous trouvons notamment ces occurrences à Saint-Gervais en 1714, 1723, 1729, à Saint-Étienne-du-Mont en 1731, 1759.  ↑
  • 4.  Arch. Nat., LL 709, 19 octobre 1769.  ↑
  • 5.  Arch. Nat., LL 748 et 751.  ↑
  • 6.  Arch. Nat., LL 709, 19 octobre 1749.  ↑
  • 7.  Arch. Nat., LL 750, 5 mai 1729.  ↑