Actes du premier colloque international de l'association Verre et Histoire, Paris-La Défense / Versailles, 13-15 octobre 2005

Alain BOUTHIER, Maître de conférences retraité
Laboratoire d'Archéologie, UMR 85 46 CNRS / ENS, École Normale Supérieure, Paris (France)

Une table en fer battu à couler les glaces à Cosne-sur-Loire (Nièvre) en 1699

3. Les tables à couler les glaces de la Cie de Saint-Gobain
et la table de Cosne

Delaunay-Deslandes relate ainsi les débuts de la Manufacture royale de Saint-Gobain :

Plan aquarellé : table de coulée

Fig. 2 : Table à couler la glace, vers 1740. Extrait d'un album de plans et d'installations aquarellé (collection Saint-Gobain).

Dès que la Compagnie des glaces eût loué le château de St Gobain de Baudet, elle y fit batir, et lorsque les deux Compagnies de coulage et de souflage furent reunies, elles y firent construire des fours de coulage et de souflage. On y transporta la table de fer de fonte de Paris, mais elle reussissoit trés mal. Il y avoit dedans des chambres et des trous, dans lesquels le verre entroit, et il n’etoit pas possible de pousser la glace dans la carquaise lorsqu’elle etoit echaufée le verre s’y attachoit, ce qui augmentoit encore la difficulté d’en enlever la glace. Ce fut là une des principales causes qui firent echouer la Compagnie de Plastrier.
Les pores qui se trouvoient dans cette table de fer de fonte, ayant forcé de l’abandonner, on se decida à en faire une de fer forgé. Un serrurier de Laon nommé Boursier la commença en 1700, et elle fut finie et voiturée à St Gobain en 1701, elle y existe encore aujourd’hui. Elle est dans le magasin à frittes et c’est sur elle qu’on les epluche. Elle a 121 pouces de longueur, 74 de largeur et 2 3/4 pouces d’epaisseur. Elle est faite d’un assemblage de lames de fer battu jointes ensemble avec des vis14.

Dessin (sanguine) : coulée d'une glace

Fig. 3 : Coulée d'une glace en présence de Pierre Delaunay-Deslandes à Saint-Gobain vers 1780. Sanguine (collection Saint-Gobain).

L’inventaire de Cosne mentionne une table en fonte de fer de huit pieds (96 pouces) de long sur quatre (48 pouces) de large (la table de cuivre en usage vers 1702, selon Delaunay-Deslandes, données reprises par Frémy, puis par Pris, mesurait 120 pouces de long sur 78 pouces de large). Il fait aussi état de quatorze grandes barres de fer de 9,5 pieds (114 pouces) de long sur 4 pouces de large et 14 lignes (1 pouce et 2 lignes) d’épaisseur. L’assemblage côte à côte de ces quatorze barres aboutirait à une table de 114 pouces de long sur 56 pouces de large, côtes un peu inférieures à celles de la table en fer battu confectionnée à Laon. On peut noter que le mode d’assemblage des barres de fer forgé individuelles est sans doute le même dans les deux cas, à la différence près de la terminologie employée : Deslandes parle de « vis », alors que notre inventaire évoque « 386 boullons garnis de leurs escrous », ce qui doit mieux correspondre à la réalité, d’autant qu’il est aussi fait état d’« une boullonniere avec sa fraize et dix burins, deux escroueres et despendances, trois fillieres et leurs tarrods et deux poinssons d’assier à perser », tout outillage cohérent indispensable à la réalisation d’un tel type d’assemblage. Les pièces de bois, en quoi l’on peut raisonnablement voir des éléments du bâti de bois supportant les pièces métalliques, sont de plus grande taille : en même nombre que les barres de fer, elles sont longues de 11 à 12 pieds, soit 132 à 144 pouces et les plus longues (pourvues de mortaises) atteignent même 14 à 15 pieds, soit 168 à 180 pouces ; les pièces de bois les plus courtes ont toutes une longueur de six pieds soit 72 pouces. Toutes ces côtes (table en fonte, comme barres de fer) sont donc très proches de celles rapportées par Delaunay-Deslandes pour la table en usage à Saint-Gobain. Grégoire de la Tour était donc parfaitement au courant du problème et des exigences des fabricants de grandes glaces, et peut-être même s’est-on après coup servi de ses productions, on voit mal en effet comment un simple serrurier, pourvu d’une simple forge maréchale, aurait pu corroyer de si longues barres de fer.

∧  Haut de page4. La table de la manufacture de glaces des Dombes
et celle de Cosne

Est-ce pour la confection de cette table de fer battu ou pour celle de canons de fer battu que Grégoire de la Tour avait passé commande à Decize de deux fournitures de charbon le 15 novembre 1698 : la pièce ne fait pas mention de l’usage auquel était destiné ce combustible15 ?

La manufacture des glaces de Dombes qui a été créée en 1699 à l’initiative et avec la protection du duc du Maine, prince souverain de Dombes, avec le transfuge Jean-Baptiste Secretain de La Pommeraye, échappe, grâce à l’extra-territorialité de la principauté de Dombes, au monopole exclusif dont jouit la manufacture royale des glaces de Paris. Serait-elle l’héritière de la table de Cosne ? L’inventaire des effets de la manufacture des glaces de Dombes, dressé à Paris le 20 octobre 1709, vient contredire cette hypothèse : il fait seulement mention d’une « table de fonte et rouleaux » (estimés 15 400 livres)16 sans en préciser les dimensions. Cependant la saisie le 10 octobre 1707, « dans la maison du nommé Calichet au village du Verney de Collonges à une petite lieue de Lyon du costé de Trevoux » de onze caisses « avec 326 glaces de différentes grandeurs » nous montre que ces glaces, dûment inventoriées, dont « on pretend qu’elles viennent de la fabrique de Dombes », ont des dimensions comprises entre 31,5 pouces sur 24 pouces pour la plus grande et 19 pouces sur 14 pour la plus petite17. On n’est donc pas là non plus dans la même gamme de dimensions que celle de la table de Cosne.


  • 14.  Arch. Saint-Gobain, C12, communication personnelle de M. Hamon que je tiens à remercier.  ↑
  • 15.  « 15 novembre 1698, ordre du sieur Gregoire de la Tour pour luy fournir 2 fournitures de charbon au dos duquel il paroist qu’il y a des receu qui prouvent qu’il n’est plus deu que 50 livres », 30e pièce sur les 69 de la côte 11, dans Arch. dép. Nièvre, 3 E 396, notaire Griffet, 28 novembre 1708 et sq., inventaire après décès de Guillaume Vanisandoren.  ↑
  • 16.  Arch. Nat., G7 1690.  ↑
  • 17.  Idem.  ↑