Actes du premier colloque international de l'association Verre et Histoire, Paris-La Défense / Versailles, 13-15 octobre 2005

Sophie LAGABRIELLE
Conservateur en chef, Musée national du Moyen Âge, Paris (France)

Les fenêtres des rois et des princes (xive-xve siècles)

Plusieurs corps de métiers autour de la fenêtre

La pose de vitrage dans un intérieur s’accompagne d’un certain nombre d’opérations préliminaires et complémentaires. Elle nécessite l’apport d’autres matériaux que le verre et la mise en œuvre de compétences professionnelles autres que celle du vitrier.

Des rôles plus ou moins fixes

Les Comptes du duc de Berry à la fin du xive siècle nous permettent de reconstituer les étapes de la réalisation d’une ouverture dans un édifice, et de comprendre les différentes mains qui œuvrent autour des fenêtres.

Si l’on commence par la création de l’ouverture dans le mur, le premier intervenant est le maçon : « A Pierre Guobia, tailleur de pierre et maçon… au bout de la dicte chambre (à parer de Monseigneur) devans les jardins… quatre fenestres crousées…, l’une assise en droit l’autre a double chanffraing et a double crouzée a la semblance de celle de la sale… »100. Le maçon peut s’arrêter là ou poursuivre son travail. Il peut s’occuper de l’accrochage des vantaux et du scellement des pièces métalliques : « pour leurs journées de plusieurs maçons… qui ont ouvré… pour pendre les huis et sceller les gons et verrolhes (verrous) des tornelles (tourelles) »101. Pour « asseoir » les verres, l’archevêque de Rouen rétribue, non pas un maçon, mais un plâtrier : « Colin Amiot pour luy et ses aydes pour avoir œuvré de son mestier de plasterie... c’est assavoir pour avoir fait en la chambre du trésorier les vœres de III châssis et ung ront vœrré... »102.

D’autres corps de métier peuvent prendre le relais, à commencer par le menuisier qui est amené à fabriquer les châssis en bois des fenêtres103, ou le serrurier dont l’intervention est indispensable104. Il revient à ce dernier de fabriquer les vergettes qui, placées à l’horizontale à intervalles réguliers sur toute la hauteur de la fenêtre, soutiennent les pans de vitrage. Au château de Poitiers, Jehan Marteau, maréchal de son état, apporte « V livres de fer ovrées en menues verges nécessaires pour tenir les vitres des châssis desdictes chambres »105, ainsi que les grilles au poids et coût considérables. L’intervention de Maître Jacques dit « le mareschal » pour une « yreigne de fer » destinée à l’une des fenêtres de la grande salle du château de Poitiers, « laquelle poise VIIm Vc XXVI livres de fer », est payée sept livres par croisée, soit un total de plus de 344 livres106, un coût qui n’est d’aucune mesure avec les 30 à 100 livres versées par la comtesse d’Artois aux verriers107.

Le rôle du vitrier se réduirait, pour sa part, à fournir tous les matériaux, le verre, mais également le plomb et l’étain, ainsi que les clous. En avril 1480, il a été nécessaire d’envoyer « quérir (à Orléans) six hommes vitriers qui ont apporté la verrerie, le plomb, les verges de fer et les clous, et qui ont fait et réparé les vitres audit lieu de la Mothe »108. Ainsi, a également procédé, en 1307, Maître Othon, verrier d’Arras, qui, payé pour son travail sur les verrières des chambres neuves du château de Lens, complète sa facture par les frais de ferrure : « pour XIIc de pailles (vergettes) pour atakier les peniaus de voirre pour chascun cent, IIII s. »109.

À la fourniture et à la pose, il faut ajouter le transport des matériaux. Dans les archives du roi René, la verrière facturée 2 florins 6 gros est transportée d’Avignon à Tarascon moyennant 6 gros110, ce qui augmente son coût d’un cinquième – si l’on compte 12 gros pour 1 florin.

∧  Haut de pageVerriers, vitriers, peintres-verriers

Verrier, verrinier, peintre-verrier, vitrier ? Une confusion existe dans les différentes appellations des corps de métier du verre. Dans le cas de pose de vitrage, le mot « verrier » et ses dérivés semblent référer au peintre-verrier / vitrier qui découpe, peint et pose les panneaux de verre. Mais le doute s’installe lorsqu’un personnage, désigné comme verrier, apporte le verre – évalué au poids – et travaille sur la fenêtre. Ce type de transaction s’observe à la fin du xiiie - début du xive siècle, et notamment dans les Comptes de Mahaut.

« Maître Othon, verrier d’Arras » et son fils Jacques, au château d’Hesdin ou à Lens, fournissent du verre au poids et s’acquittent des travaux de pose et de peinture sur verre111. Ceux qui livrent le verre et font œuvre de vitriers, doivent-ils être considérés comme des producteurs ou comme des peintres-verriers/vitriers ? Que répondre puisque les deux informations sont contradictoires : le verrier fabrique le verre dans sa verrerie établie au cœur des massifs forestiers, alors qu’installé sous une enseigne de ville, le vitrier se charge de le placer dans la fenêtre. L’ambiguïté subsiste dans les premiers temps du vitrage civil. Ainsi, après « Maîstre Osthe, verrier d’Arras » et « ses vallés (sic) », employés au château d’Hesdin (1299), viennent « Maîstre Jacques le verrier », son fils (Hesdin, 1312), Jehan, « verrier de Runescure » (hôtel de Thierry, à Aire, 1310). Or, présentés comme verriers, Jehan le Sauvage (Saint-Omer, 1322), Noël (château de Bapaume, 1324, 1328), Hue d’Arras (Saint-Omer, 1328) ou Jehan de Sées (Paris, 1312-1313), tous facturent le verre au pied, et non au poids, et effectuent des travaux de vitrerie112, ils ne sont donc que des vitriers.

Dans ces temps précoces, les métiers ne sont peut être pas très fixés. En Normandie, pour le manoir de La Feuillie qu’a particulièrement fréquenté le roi Philippe le Bel, Adin le verrier est payé « pour gros verre blanc et de couleur » (1319-1320)113. Le gros verre qualifie le verre plat produit dans la verrerie, à l’inverse du menu verre (verre de table). Adin serait donc un verrier. Il s’est associé à Johan le Verrier qui reçoit une somme équivalente « pour estein et soudeur et plon », et pour sa pose de vitrage114. Les deux hommes se sont donc réparti les tâches. Un cas similaire est consigné en 1369 au château royal de Goulet. Deux verriers y livrent du verre : Jehan Pignan, dit verrier de Neaufles et Guillaume Besoches, dit verrier d’Andely. Le premier est payé pour la livraison de son gros verre, le second pour ses « réparations et peinture concernant le verre »115. Dans ce cas, on peut déduire, parce que Neaufles-Saint-Martin est situé non loin de la forêt de Lyons, par ailleurs connue comme un important massif verrier, que Jehan Pignan est probablement un intermédiaire chargé de la vente du verre et Guillaume Besoches, un peintre-verrier du bourg des Andelys. Il semble en effet qu’il y ait eu là aussi association, celle d’un marchand de verre et d’un peintre-verrier.

Même en avançant dans le xive siècle, différencier le verrier du peintre-verrier n’est pas plus aisé. Chez le roi, Guillaume Brisetout, est qualifié de voirrier, mais chargé de l’entretien et des réparations de vitrage116 ; l’archevêque de Rouen fait de même appel à Jehan de Senlis, verrier ; celui-ci intervient sur plusieurs verrières de son palais117. Et chez le duc de Bourgogne, ce sont « Maître Jacques le Verrier et Boucet, verriers » qui livrent une grande quantité de verre au roi (1377). Or, cette année-là, Maître Jacques, le même personnage (?), se charge de peindre les vitres de la chambre du Parement du duc à Dijon, en se qualifiant de « maître Jaque le pointre, de Dijon »118.

La terminologie devient plus explicite, notamment en Bourgogne, à la fin du xive siècle, lorsque l’artisan insiste sur la facette artistique de sa profession et se fait appeler « peintre »119. Au xve siècle, à Nevers, une légère nuance permet de distinguer le vitrier du maître de verrerie, puisque Jehan Costhereaul est dit verrinier. Chez le roi René, on mentionne « Robin André, vitrier d’Angers », Thomas Grabuset, vitrier d’Avignon120, mais Aubry Damboy (ou Dombey ?), connu par ailleurs pour son activité de peintre, est dit verrier d’Avignon121. Indéniablement, il existe donc un certain flottement dans le vocabulaire.


  • 100.  Archives nationales, KK 255 fol 46 v° ; voir Magne, op. cit., p. 34. Il en est de même chez le roi à l’Hôtel Saint Pôl, dans l’église, où c’est le maçon Simon le Henry qui est payé : « pour avoir scellé en deux bées de fourmes à l’endroit de l’autel monseigneur Jean-Baptiste, XXVIII barreaux de fer pour y asseoir nouvelles verrières… et au dessuz desdites bées… un sercle de fer pour tenir les verres », Comptes KK 264-266, avril 1399-1401, cité in « L’Hôtel de Saint Pol », op. cit., p. 137.  ↑
  • 101.  Archives nationales, KK 255 fol 48 v°.  ↑
  • 102.  Archives départementales Seine-Maritime, G 2140.  ↑
  • 103.  Le huchier est chargé de fabriquer les dix châssis des fenêtres de la chambre à parer et de la salle devers la cour du château et d’achever l’huis de cette même chambre à parer, moyennant XI livres V denier, palais de Poitiers, 1385, cité par Champeaux, op. cit., p. 67  ↑
  • 104.  « A Guillaume Gasteblé, serreurier dudit lieu (Tarascon), pour avoir assis ung chasseis de boys vitré de verre en la petite escriptoire dudit lieu à Tharascon », Archives nationales, P 1234/14, 1ère partie, fol. 29, Lecoy de la Marche, op. cit., p. 137, n° 363.  ↑
  • 105.  Archives nationales KK 256, fol. 10. Voir Magne, op. cit., p. 47.  ↑
  • 106.  Archives nationales KK 257a, fol. 37 v°, Magne, op. cit., p. 69  ↑
  • 107.  Voir Richard, op. cit., p. 301-305.  ↑
  • 108.   Dépense de l’année 1480, 10 avril, cité par Douet d’Arcq, op. cit., p. 370.  ↑
  • 109.  Archives départementales du Nord, A 223, 225, Comptes, op. cit., p. 299.  ↑
  • 110.  Archives départementales du Bouches-du-Rhône, B 1657, fol 32. Voir Arnaud d’Agnel, op. cit, , t. I, p. 402, n° 1282.  ↑
  • 111.  Archives départementales du Nord, A 147, A 297, Archives nationales, KK 393. Voir Richard, op. cit., p. 298-299.  ↑
  • 112.  Voir Richard, op. cit., p. 298-305.  ↑
  • 113.  « Pour gros verre, à Adin le verrier, 40 s. », La Feuillie, 1319-1320, F. Maillard, op. cit., p. 411, n° 7734 ; Bibliothèque nationale de France, ms fr. 25993, n° 270  ↑
  • 114.  Ibid., n° 7735 ; Bibliothèque nationale de France, ms fr. 25993.   ↑
  • 115.  Acte de Pierre de Lymoges, garde du sceau de la prévôté de Vernon, Bibliothèque de France, département des Manuscrits, ms fr. 26008, n° 773, cité in Nortier, op. cit.,, n° 484.  ↑
  • 116.  Cité in Berty, op. cit., p. 183.  ↑
  • 117.  Jouen, op. cit., p. 166.  ↑
  • 118.  Archives départementales de la Côte d’Or, B 4423, fol. 10 v°, fol. 27 v ; B 5755, fol. 31. Voir Prost, op. cit., p. 536, n° 2799 et p. 585, n° 3108 ; p. 619, n° 3260.  ↑
  • 119.  « Vincent le paintre », « Philippe le pointre à Noiers », « Perrin Girolé, demeurant à Semur, poinstre », ou « Perrin le pointre de Bagneux », ou « Andrier le pointurier de Mairey (Marey-sur Tille) », voir Prost, op. cit., p. 527, n° 2771, p. 539, n° 2813 et 2814 ; p. 600, n° 3177 ; p. 608, n° 3212 ; p. 618, n° 3258.  ↑
  • 120.  Archives départementales du Bouches-du-Rhône, B 2483, fol. 19 ; B 2484, fol. 29. Voir Arnaud d’Agnel, op. cit., t. I, p. 28, n° 89, p. 48, n° 182.  ↑
  • 121.  Archives départementales du Bouches-du-Rhône, B 1657, fol 38, fol. 43 v°, fol. 55 v°. Voir Arnaud d’Agnel, op. cit., t. I, p. 402-403, n° 1283, 1284, 1286.  ↑