Actes du premier colloque international de l'association Verre et Histoire, Paris-La Défense / Versailles, 13-15 octobre 2005

Michel HÉROLD

Le verre des vitraux (xve-xvie siècles). Approche méthodologique

II. Premières observations relatives à la circulation des verres : la question de l’approvisionnement

De ces documents il est possible de tirer des informations de premier ordre relatives à la circulation du verre : ils offrent une sorte d’observatoire de l’usage des produits verriers sur les chantiers de construction. Les premières informations réunies se prêtent à une analyse topographique tenant compte des liens entre offre et demande.

Trois espaces géographiques ont été retenus, la Lorraine, comme lieu de production, la Champagne, dont les chantiers sont particulièrement actifs à partir de la fin du xve siècle et Paris, capitale artistique du royaume, proche des verreries normandes, comme l’est aussi la Picardie. Voici quelques-uns des documents les plus parlants au sujet de l’origine du verre :

∧  Haut de pageLorraine (d’après Hérold, 1987, p. 87-106.) :

  • 1493-1496, pour leurs travaux à l’église des Dames de Remiremont, Nicolas Mélodie et ses deux fils font quérir leur verre blanc et de couleur en l’hôtel d’Hennezel.
  • 1501-1502 : le receveur général de Lorraine paie 36 francs à Claude et Didier Hennezel pour 3 charrettes de verre blanc destiné au vitrage du palais ducal.
  • 1504 : François le verrier de Nancy achète pour 7 francs 8 gros 16 liens de verre à Antoine Olriel de Hagécourt, près Mirecourt.
  • 1541 : Valentin Bousch lègue par testament 400 liens de verre blancs à Antonin le verrier de Metz (Le Vieil, 1774, p. 44).

Ces quelques mentions traduisent une observation d’ensemble : tous les documents actuellement relevés dans la région concernant le verre sont soufflés en manchon, que l’on peut croire de fabrication locale.

∧  Haut de pageChampagne, Troyes (d’après Minois, 2005)

Outre l’origine exclusivement lorraine des verres signalés entre la fin des années 1460 et le début du xvie siècle, les documents repérés permettent de proposer une estimation du prix unitaire moyen du verre21 :

  • 1469-1470 : achat par le chapitre de la cathédrale de 22 liens de verre blanc et cinq liens de verre de couleur à Antoine Viole de Passavant (20 s. le lien).
  • 1479-1480 : achat par le chapitre de 26 liens de verre à Guillaume Viole de Langres (à 13 s. 4 d. le lien).
  • 1485-1486 : achat par le chapitre au « verrier du four Darney » de 61 liens de verre en table (9 s. 2 d. le lien).
  • 1500-1501 : achats du chapitre cathédral de Sens à Didier Georges dit Lallemant (1er achat) : 2 charrettes de blanc et une de couleur (à 11 s. 9 d. le lien).

À partir de ces observations, Danielle Minois remarque que le prix d’achat du verre baisse de 33% entre 1470 et 1480, ce qui est considérable. La documentation repérée, muette jusqu’au milieu du xvie siècle, ne permet malheureusement pas de suivre la provenance et les cours du verre dans les décennies suivantes.

∧  Haut de pageParis

À Paris les sources publiées, plus abondantes, ne peuvent pas être citées toutes. Voici un échantillonnage couvrant le second et le troisième quart du xvie siècle (d’après Grodecki, 1985 et Leproux, 1988).
  • 1542, vitrerie pour l’hôtel de Ferrare à Fontainebleau, par Etienne Viviau : en bon verre « françois du meilleur, le plus cler et le plus fin ».
  • 1548, vitreries de l’hôtel de Morelet, par Jean Vigant : « de bon verre françois en façon de bornes ».
  • 1555, vitrerie de la maison d’Antoine Olivier, évêque de Lombez à Paris, par Nicolas Beaurain : « de verre de Lorraine du plus beau qu’il se trouve, bon, léal et marchant ».
  • 1555, vitreries de la maison du cardinal de Meudon par Jean de la Hamée : « de bon verre de Lorraine blanc damasquiné ».
  • 1557, verrières pour l’église de Saizy, par Thomas Letourneur : de verre de Lorraine.
  • 1563, verrière de l’église Saint-Paul par Nicolas Beaurain : de bon verre, tant de verre de Lorraine que de France.
  • 1564, Arbre de Jessé de l’église Saint-Paul, par Quentin Turquet : de verre de Lorraine.
  • 1569, vitraux de l’hôtel Gouffier, par Marin Levavasseur : en bon verre de France.
  • 1571, vitreries avec parties peintes de la maison du contrôleur Talon, par Antoine Leclerc : en verre de France.
  • 1577, inventaire après décès de Toussaint Lebel : 1 lien de rouge, 1 lien de vert, 2 liens de plusieurs couleurs, 5 liens de verre et 2 liens d’« hostie » ; trente plats de verre blanc.
  • 1583, inventaire après décès de Thomas Mignot : 2 sommes de verre ; 120 liens de verre, 100 pieds de verre.

Ces quelques mentions, même très partielles, conduisent à une remarque notable : dans des ateliers et sur des chantiers situés à vingt lieues environ des verreries normandes de la forêt de Lyons, le verre dit de France ne s’impose pas de façon dominatrice, le verre lorrain trouvant largement sa place. Comment interpréter cette situation22 bien différente de celle observée en Champagne, comme en Lorraine ? Le verre lorrain est-il en mesure de satisfaire l’ensemble des besoins ? La concurrence entre verre de France et verre de Lorraine, observée ici, relève-t-elle d’une logique purement industrielle et commerciale ? Quelle place faut-il accorder aux questions relevant des qualités respectives de chacun des matériaux ?


  • 21.  Ce prix unitaire moyen ne différencie pas le verre de couleur et le verre blanc, les renseignements apportés par les documents n’étant pas assez précis. Cependant, les prix les plus élevés correspondent vraisemblablement à la présence de verre de couleur.  ↑
  • 22.  La situation est identique en Picardie.  ↑

Titre du colloque : Verre et Fenêtre de l'Antiquité au 18e siècle

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